Le jour se lève

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Diamant noir

Pour beaucoup de commentateurs, Le jour se lève est le sommet absolu de l’œuvre de Marcel Carné, ou, plus encore de celle d’une équipe extraordinaire, d’une densité de talents qu’on ne reverra pas de sitôt dans le cinéma, Jacques Prévert au scénario et aux dialogues, Alexandre Trauner aux décors, Maurice Jaubert à la musique.

En 1939, cette équipe a déjà donné, en trois ans (!!!) Drôle de drame et Quai des brumes ainsi qu’Hôtel du Nord (sans Prévert, mais avec des dialogues de Jeanson) et, malgré la mort de Jaubert, fauché très jeune, en 1940, que remplacera brillamment Joseph Kosma, elle se prépare à donner Les visiteurs du soir puis Les enfants du Paradis, pour finir sur Les portes de la nuit qui valent infiniment mieux que leur réputation . Quelle collection de chefs-d’œuvre !

le_jour_se_leve_1939_portrait_w858Donc, Le jour se lève, qui sonne, comme par un malin et méchant hasard, la fin de la première carrière de Jean Gabin (avec Remorques de Jean Grémillon, il est vrai, sorti en 1941, mais tourné en grande partie avant la défaite), et dont le personnage interprété, François, représente l’archétype de tous ces prolos romantiques et tragiques joués par l’acteur depuis La bandera et La belle équipe. Et à ses côtés, ces deux grands acteurs du cinéma d’avant-guerre, figures mythiques de la fille au grand coeur – Arletty – et du salopard séduisant – Jules Berry -, ici presque aussi immonde que dans Le crime de Monsieur Lange ; (décidément on ne pouvait pas mieux trouver mieux que lui pour jouer le Diable dans Les visiteurs du soir !). Évidemment, à côté de ces trois monstres sacrés la fraîche et jeune héroïne, Françoise, paraît bien mièvre…à un point tel que son interprète, Jacqueline Laurent, a pratiquement immédiatement disparu des écrans.

On a beaucoup glosé sur le fantastique décor de Trauner, donc, cet immeuble sale et haut d’un quartier déshérité au dernier étage de quoi se réfugie François pour attendre la fin et se remémorer tout au long de la nuit les événements qui l’ont conduit à ce désastre. On a beaucoup évoqué, aussi, cette solidarité populaire, cette angoisse collective et empathique des braves gens qui savent bien que ce qui arrive à François aurait pu leur arriver aussi ; en voyant, l’autre jour, la fin de l’excellente Raison du plus faible de Lucas Belvaux, il me semblait que la pulvérisation de la société par l’individualisme avait bien avancé…

Et que la tristesse de Carné n’était rien à l’aune du désespoir d’aujourd’hui…

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