Le masque de la mort rouge

Débordant d’idées.

Comment se fait-il qu’après la si ridicule adaptation du Corbeau, du même Edgar Poë, Roger Corman puisse réaliser, avec Le masque de la mort rouge une sorte de petit chef-d’œuvre du film de genre, bourré d’idées délicieusement horrifiques, précurseur et sans doute inspirateur d’autres magnifiques films de terreur ? Il me semble avoir lu quelque part que Corman s’était alors établi en Grande-Bretagne, pays de la Hammer et de la prise au sérieux de l’épouvante…

C’est à vérifier, mais en tout cas, cette histoire qui n’est pas sans rappeler (en plus affadi et moins redoutable, qu’on se rassure !) l’écœurante et magnifique perversité de Salo est aussi efficace que bien tournée et Vincent Price, qui peut être si cabotin et désinvolte y est épatant de méchanceté, de sadisme et d’absolue soumission au Mal.

Prospero, prince débauché et sataniste (Price, donc) tyrannise sans partage une pauvre contrée de marécages et de tristes forêts, peuplée de paysans soumis sa loi, qui sentent trop sa puissance infernale pour avoir même l’idée de la révolte. La peste survient – c’est la Mort rouge – ; Prospero s’enferme dans son immense château, entouré d’hommes d’armes et de nombreux compagnons de débauche, complices de leur propre abjection, dont ressort la figure immonde d’Alfredo (Patrick Magee, le Mr. Alexander d’Orange mécanique).

La maîtresse de Prospero, Juliana (Hazel Court) qui se donne elle aussi au Diable, n’empêche évidemment pas son amant de vouloir s’emparer de la jeune paysanne Francesca (Jane Asher)  qui est aimée par Gino (David Weston), un des rares paysans courageux opposé au tyran.

Le hussard sur le toit (et davantage le roman de Giono que le film de Rappeneau), ce sont ceux qui résistent à la terreur et osent l’affronter en face qui survivront, du choléra ici, de la peste, là… La métaphore est lumineuse…

En tout cas Le masque de la mort rouge est, à peu près tout le temps un enchantement vénéneux de couleurs, d’atmosphères brumeuses ou brillantes, de plans habilement contrastés (le sanctuaire où Juliana se voue à l’Enfer : gris goudron des idoles sataniques et bribe de vitrail rouge sang), d’habiles mouvements de caméra, même si le film demeure une série B…

J’ai été heureusement surpris de voir aussi clairement, dans ce film de 1964, de rudes invocations du Seigneur des mouches, des croix inversées portées au rouge pour marquer au feu les séides du Prince des Ténèbres, et un sadisme clairement assumé, jusque dans l’ambiguïté assez malsaine du couple nain, Esméralda et Saute-crapaud qui, lui aussi, s’échappera du château…

Heureusement surpris aussi de déceler de bien bonnes idées horrifiques qui ont peut-être inspiré aussi bien Roman Polanski (la scène de possession démoniaque de Juliana fait irrésistiblement songer au cauchemar de Mia Farrow dans Rosemary’s baby), Dario Argento (tout le jeu chatoyant des ambiances colorées) ou Don Taylor (Juliana attaquée et déchiquetée par le bec d’un corbeau, comme la journaliste de La malédiction II). Et puis l’excellente idée d’incorporer à l’histoire originelle de Poë un autre de ses contes, Hop-Frog, ce récit du nain humilié qui embrase le déguisement de ses persécuteurs (conte lointainement inspiré de l’anecdote réelle du Bal des ardents qui, en 1393 fit définitivement basculer la raison du roi Charles VI)…

La fin du film, moins convenue qu’on ne pouvait craindre, est absolument glaçante… Excellent film pour amateurs d’ambiances morbides…

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