Le million

Il court, il court, le furet…

Il fut un temps, quand j’étais encore bien jeune, où je prenais René Clair pour un très grand cinéaste. Il avait été élu, en 1960, à l’Académie française et comme, ne doutant de rien, j’ambitionnais moi-même d’entrer un jour sous la Coupole, je m’imaginais que l’illustre compagnie ne pouvait distinguer que les meilleurs dans toutes les activités intellectuelles et artistiques. Depuis mes treize ans, j’ai beaucoup déchanté. D’abord sur mes propres capacités mais aussi, ce qui est plus navrant sur les facultés de discernement des Quarante. Et en tout cas, je ne tiens plus le réalisateur de Sous les toits de Paris et de À nous la liberté pour un auteur majeur, même si il a mis en scène quelques films très plaisants et agréables, comme La belle ensorceleuseLe silence est d’or ou – le mieux de tous – Les grandes manœuvres.

Le million est une charmante fantaisie, très allègre, très virevoltante, très sympathique. Tournée en 1931, elle est encore toute empreinte des traditions, habitudes et contraintes du cinéma muet, avec ses longues séquences sans paroles, ses courses et cavalcades sans fin mais en même temps s’émerveille du nouveau jouet que vient de se donner le cinéma avec le parlant : elle est donc musicale et il faut reconnaître à René Clair la qualité certaine d’insérer parfaitement, avec beaucoup de fluidité, ses très nombreuses chansonnettes au milieu de son récit vaudevillesque. En tout cas le caractère artificiel de cette semi comédie musicale est finement gommé.

Il l’est bien davantage que la facilité plutôt niaise de l’anecdote. Le thème du billet de loterie gagnant perdu puis retrouvé après mille péripéties n’est pas rare dans la littérature ou même le cinéma ; quinze ans après Le million.  Jacques Becker en fera le fil conducteur de son charmant film Antoine et Antoinette en 1947 ; mais, précisément, fil conducteur n’est pas trame et on a l’impression que dans le film de René Clair rien n’existe que cette course derrière la fortune envolée (j’exagère un peu pour la commodité de ma démonstration, mais je ne suis pas loin de me donner raison).

Donc Michel (René Lefèvre), artiste peintre sans succès, sinon sans talent, vivote dans un immeuble parisien. Pas de sous, mais un bon camarade, le sculpteur Prosper (Jean-Louis Allibert) (pas si bon camarade que ça au demeurant) et une adorable fiancée, danseuse étoile, Béatrice (Annabella) ; ce qui, au demeurant, n’empêche pas ce chaud lapin de flirter avec une belle Américaine, Wanda (Vanda Gréville). Le brave garçon est couvert de dettes : son propriétaire, sa concierge, son boulanger, son boucher, son épicière sont à ses basques… Jusqu’au moment où Michel apprend et annonce à tous qu’il vient de gagner, à une loterie batave, le gros lot d’un million de florins (et donc bien davantage en francs !).Les créanciers s’amadouent, mais… où est passé le fichu billet gagnant ?

Le processus est enclenché et la course-poursuite commence ; la loi du genre est que les obstacles s’accumulent et que dès qu’on en ôte un, trois autres surgissent, plus pesants et plus compliqués ; et la morale et la satisfaction du bon public spectateur exigent parallèlement qu’au bout du bout les choses s’arrangent, que l’heureux propriétaire retrouve son bien et que les amoureux surmontent les vicissitudes dont leurs sentiments sortiront renforcés. Qu’on se rassure, c’est exactement ce qui se passe dans le film.

C’est donc léger, plutôt farfelu, gentil comme tout, plein d’une insouciance sympathique, mais tout de même très limité. C’est dans ce film qu’Annabella qui avait déjà un petit peu tourné trouva ses galons de vedette ; sa beauté les méritait. En revanche, je n’ai jamais bien compris comment la face en forme de camembert de René Lefèvre lui a permis pendant plusieurs années de jouer les jeunes premiers ; acteur intéressant, c’est un fait jusqu’à tardivement (remarquable fourgue dans Le doulos de Jean-Pierre Melville en 1962… mais peu convaincant en séducteur (ceci est une des faiblesses du Crime de Monsieur Lange de Jean Renoir en 1936). Les chansons, de Georges van Parys et d’Armand Bernard sont agréables et le film est assez court (81 minutes) pour ne pas lasser. Mais ça ne vaut pas le film précédent de René Clair, Sous les toits de Paris, ni même son suivant, À nous la liberté.

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