Le pianiste

Au fin fond du marécage.

J’ai attendu bien longtemps pour découvrir Le pianiste dont on me disait pourtant beaucoup de bien, sans doute par lassitude des récits inspirés par la Deuxième guerre mondiale, dont il me semble qu’aucune soirée télévisée n’est dépourvue. J’avais tort et en regardant le film je n’étais pas loin de lui donner encore une meilleure note, ce que j’aurais fait si je n’avais trouvé la fin trop romanesque. La méprise des soldats polonais après la libération de Varsovie qui tirent sur le malheureux Wladyslaw Szpilman (Adrien Brody) parce qu’il est revêtu de la capote que lui a donnée le capitaine Hosenfeld (Thomas Kretschmann) m’a paru téléphonée et ridicule. Et les recherches sur le sort de ce malheureux officier m’ont semblé donner inutilement satisfaction à un goût, souvent éclatant, pour les belles histoires.

J’ai donc été bien surpris lorsque j’ai appris que ce qui est raconté par Roman Polanski (qui, quoi qu’on en dise, et avec des tas de sautes de tension, est un des plus grands cinéastes contemporains), que c’est donc véridique et adapté, assez fidèlement paraît-il, du récit Une ville meurt écrit juste après la guerre par l’artiste, seul survivant de sa famille massacrée à Treblinka. Récit au demeurant censuré par le pouvoir communiste et publié intégralement en 2000 seulement. Mais la réalité dépasse la fiction, on le sait depuis longtemps.

Ce qui est sans doute le meilleur, dans le film, c’est, effectivement, le glissement graduel inéluctable vers un enfer dont on ne peut pas se sortir, un cauchemar dont on ne se réveille pas. Cette famille juive aisée et cultivée qui pleure presque de joie lors du déclenchement du conflit et de l’entrée en guerre de la France et de la Grande-Bretagne, puis qui descend, statufiée, sidérée, impuissante, incrédule, toutes les marches vers la cave des horreurs est formidablement crédible, attachante, pitoyable.

Le spectateur d’aujourd’hui, qui a vu toutes les horreurs de l’Holocauste et que rien – hélas ! – n’étonne, pas davantage les abat-jour en peau humaine que les cadavres desséchés enfouis dans des trous à la pelleteuse aurait presque tendance à tenir les abominations des camps de la mort pour commises par des extra-terrestres. D’une certaine façon il prend conscience de façon plus immédiate de l’entreprise diabolique du nazisme avec les offenses enjointes aux malheureux. Et, peut-être de façon encore pire, avec les humiliations que s’infligent eux-mêmes les victimes. Une des images qui m’a le plus frappé, c’est celle du vieillard affamé qui tente de s’emparer sans vraiment y parvenir de l’écuelle d’une de ses compagnes de misère et qui, l’écuelle renversée, lape à même le sol la bouillie répandue. On a rarement vu d’aussi près l’abjection à quoi on peut pousser la pauvre Humanité, ce qu’elle est capable de supporter pour survivre.

Il n’y a rien d’héroïque, dans Le pianiste ; il y a de braves gens intelligents, cultivés, bien élevés qui sont plongés par la malignité des Temps dans la géhenne et qui s’en sortent, ou ne s’en sortent pas, comme ils peuvent. Et il y a des héros ordinaires, qui mettent leur vie en jeu pour la dignité de l’âme humaine. Merveilleuses solidarités et merveilleux courages de tous ces gens qui, simplement, sauvegardent la créance humaine, la liberté de l’Homme intérieur (Charrette). J’aurais aimé, d’ailleurs, que Polanski donnât un peu plus d’indications sur le capitaine Hosenfeld, qui, après avoir sauvé bien d’autres vies humaines, a reçu le titre de Juste parmi les nations. Abusé par le national-socialisme à ses débuts, ce catholique exigeant est un peu trop facilement évacué du film comme s’il n’avait été qu’un mélomane.

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