Le puits et le pendule

La mort à portée de la main.

Je ne crois pas avoir vu le court métrage d’Alexandre Astruc sur le petit écran. En 1964, nous n’avions pas la télévision ; plus tard y a-t-il eu une diffusion ? C’est fort possible, parce que l’époque n’hésitait pas à proposer aux spectateurs des textes et des images exigeants, puisés aux meilleures sources, adaptés de grands écrivains et mis en scène par d’excellents réalisateurs. Je sais bien qu’il y avait aussi Intervilles, mais on se souvient avant tout de Cinq colonnes à la Une et de La caméra explore le Temps. Bon. Passons ces récriminations de vieillard presque cacochyme. Depuis Tacite tout a été toujours mieux avant.

Le puits et le pendule est certainement une des nouvelles les plus réussies d’Edgar Poe, auteur qui n’est pas toujours exempt de verbiage. Elle est au niveau de La chute de la maison Usher, La tombe de Ligéia, Le chat noir, Le scarabée d’or ou L’homme des foules (et bien d’autres) ; il y a rythme et puissance de l’horreur ; et aussi capacité d’identification puisqu’à part la chute finale, qui survient miraculeusement, on peut facilement s’identifier au malheureux confiné dans un cul de basse-fosse et qui connaît toutes les horreurs de la torture.

Élevé dans un milieu protestant (anglican, je crois) Edgar Poe ressentait pour l’Inquisition une épouvante sûrement sincère, bien qu’elle soit totalement injustifiée par rapport à la réalité historique. Non que l’Organisation ait été bénigne et doucereuse, mais parce que, outre de donner aux personnes incriminées le cadre juridique que les lynchages populaires leur refusaient, elle a été finalement beaucoup moins sanglante qu’on ne pourrait le craindre : sait-on assez qu’il y a eu moins d’exécutions pendant les trois siècles de l’Inquisition espagnole que dans les trois années de Terreur de la Révolution française ?

Alexandre Astruc, en un peu moins de 40 minutes, suit parfaitement, tout à fait fidèlement, la nouvelle. Sans qu’on sache quoi que ce soit sur lui, un condamné, Maurice Ronet, dont la voix off sera la ligne unique du court métrage, est conduit dans un in-pace sévère dont les niveaux semblent aussi nombreux et insondables que les cercles de l’Enfer. Condamné par le tribunal ecclésial, il est conduit vivement au fin fond des cachots. Le réalisateur bute alors un peu sur une impossibilité : la nouvelle relate que le condamné est jeté dans une obscurité absolue et ne parviendra que par un hasard miraculeux à échapper au puits fétide qui l’attend au milieu de son cachot. Il est tout de même obligé de fixer quelques lumières furtives sur les incertitudes et les balbutiements du condamné.

Puis dès la chute évitée, c’est le fatidique balancement du pendule (repris – la chose est assez singulière – dans Hostel 2) et le fourmillement des rats. Admirable conscience professionnelle de Maurice Ronet qui a pu subir sur son corps, sur son visage, le grouillement des pattes immondes. Astruc met un sens très sûr du rythme dans cette effroyable séquence. Et puis les murs brûlants qui se resserrent… jusqu’à la libération parce que les troupes françaises de 1808 entrent dans Tolède et libèrent le malheureux…

Décors d’André Bakst, musique de Georges Delerue (qui retrouve l’esprit baroque), qualité du jeu de Maurice Ronet, à la beauté toujours inquiète. Un des très beaux témoignages de la télévision de jadis.

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