Les S.S. frappent la nuit

Dernier été avant poursuites.

Voilà un film qui met en scène un des personnages les plus fascinants du cinéma dramatique, le serial killer, et dont le propos ne consiste pas à présenter la traque et les motivations du tueur. C’est-à-dire que l’orientation principale des SS frappent la nuit (titre idiot, affiches les unes et les autres plus idiotes encore) est beaucoup plus originale et, d’une large façon, plus ambitieuse. C’est aussi que le réalisateur, l’excellent Robert Siodmak, Allemand d’avant-guerre revenu en Allemagne d’après-guerre après un large détour par la France et les États-Unis porte en lui les hantises et les culpabilités de ses compatriotes. Voilà qui est bien intéressant.

Le film se passe au cours de l’été 1944. À ce moment, si les esprits les plus lucides voient bien que le Reich cède à peu près sur tous les fronts et que son territoire, si vaste naguère, rétrécit à vue d’œil, les jeux ne sont pas encore complétement faits. D’ailleurs la plus grande partie du peuple allemand conservera jusqu’au bout une cohésion fascinante autour du Démon qu’il s’est donné en 1933, comme le rappelle plusieurs fois le Général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre. En tout cas et pour plusieurs mois encore, la société germanique fonctionne tout à fait normalement ; le film ne présente au demeurant que peu de stigmates de la guerre, à part, ici et là, quelques tas de pierres éboulées au recoin de certains bâtiments.

Willi Keun (Werner Peters), un lampiste SS qui ne peut être employé sur le Front puisqu’il a perdu un pouce, fricote habituellement avec la servante d’une auberge où il a ses habitudes. La souillon est assassinée et Keun semble le coupable idéal. L’inspecteur de police Axel Kersten (Claus Holm), revenu infirme des combats, n’est pas du tout convaincu.

Et les spectateurs savent bien que le tueur est en fait une brute débile mal dégrossie, Bruno Lüdke (Mario Adorf), qui n’en est pas à son premier assassinat. Avec l’aide de la charmante secrétaire Helga Hornung (Annemarie Düringer), le policier va s’efforcer d’incriminer Lüdke et, partant, d’innocenter Keun. Tout cela est absolument simple et l’aspect purement policier du film n’a pas beaucoup d’intérêt ; si ce n’est toutefois – mais c’est très anecdotique – que Kersten confond Lüdke en le voyant déboucher les bouteilles en enfonçant violemment son pouce dans le goulot – puissance remarquable – alors même que le tueur assassine ses victimes en leur brisant, dans la gorge, l’os hyoïde, ce qui n’est pas à la portée du premier venu. Et naturellement de quelqu’un à qui il manque un pouce comme le malheureux Keun.

Une fois le véritable tueur identifié, une question existentielle se pose que les Pouvoirs publics du Reich examinent discrètement ; et qui est, dans leur logique monstrueuse, parfaitement cohérente. Deux points de vue peuvent prévaloir. L’un est tout à fait proche de l’optique nationale-socialiste : voilà l’opportunité de prendre un texte législatif prescrivant l’éradication de tous les individus mentalement dégénérés, comme l’est Lüdke. L’autre, qui va prévaloir, et qui pourrait être aussi celle de tous les régimes communistes, est de ne pouvoir supporter qu’une telle aberration existe dans une société que l’on veut parfaite : après tout, admettre que depuis des années, des criminels tarés puissent n’être pas identifiés et subsister dans le monde idéal que l’on construit est admettre l’idée que l’on n’a pas pu les empêcher de prospérer et qu’il subsiste des failles dans l’organisation.

Il est donc parfaitement cohérent que l’honnête policier Karsten se voit expédié comme simple soldat en Courlande (Lettonie) où il est évident qu’il trouvera rapidement une mort rapide (et peut-être héroïque, allez savoir !). Il est déjà bien beau que sa fiancée Helga puisse fuir vers la Suède, alors neutre, grâce à son cousin Thomas Wollenberg (Carl Lange) qui en est amoureux. Logique absolue des systèmes totalitaires. Mais qu’on peut aussi suspendre aux questions de l’indispensable Raison d’État. Rien n’est simple.

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