Le reptile

Trop habile.

Il me semble que je ne suis pas le seul à penser que l’intrigue du Reptile aurait pu tout à fait se passer de l’appareil clinquant du western ; et pour ma part, j’estime que l’aspect sarcastique et assez méchant du film aurait gagné à se répandre dans un autre cadre, peut-être quelque chose comme l’Angleterre victorienne. On me dira, avec quelque raison, que les nids de crotales ne se trouvent pas facilement dans l’Essex ou dans le Devon ; sans doute mais à part le jaillissement final et quasi conclusif, on ne peut pas dire que ces charmantes bestioles jouent un rôle essentiel dans l’aventure. En d’autres termes on aurait pu remplacer les ophidiens par je ne sais quoi d’autre que les scénaristes auraient sûrement facilement imaginé.

On ne dira jamais assez que Joseph Mankiewicz était le fils d’immigrés juifs allemands assez récents et qu’il a lui-même passé plusieurs années de jeunesse en Europe ; d’où, sans doute, ce regard narquois et distancié qu’il porte sur les gens et les choses, ce sentiment d’être un réalisateur à qui on ne la fait pas. Il y a la noirceur de tous les personnages, il y a aussi le délicieux cynique retournement final (un peu trop prévisible, toutefois). Mais il y a aussi, audace surprenante en 1970, une certaine insistance sur l’homosexualité de plusieurs personnages : le gardien de la prison, qui aimerait beaucoup que l’éphèbe Coy Cavendish (Michael Blodgett) devienne son giton et surtout le couple de vieilles tantes en perpétuelles disputes et réconciliations, Cyrus (John Randolph) et Dudley (Hume Cronyn) qui se chamaillent comme le font dans L’escalier de Stanley DonenRex Harrison et Richard Burton. Tout cela en tout cas n’est pas bien méchant.

Ce qui m’a toujours empêché de considérer Joseph Mankiewicz comme un réalisateur primordial – et cela même si je lui reconnais volontiers un grand talent et une réelle virtuosité – c’est sans doute le côté funambulesque de la plupart de ses films, trop habiles pour être vraiment tout à fait convaincants : on a l’impression, toujours, d’assister à un très brillant exercice de style un peu vain et finalement un peu fragile. L’intrigue du Reptile est tout à fait de cet acabit : toutes les pièces de la construction s’emboîtent de manière très élégante et spirituelle et on a le grand plaisir d’assister, de loin, à un tour de passe-passe particulièrement bien élaboré. Mais, la poudre aux yeux dissipée, il ne reste, finalement que de l’esbroufe.

Heureusement il y a Kirk Douglas. C’est peu dire qu’il porte le film sur ses épaules, l’irrigue et l’enchante : il en est l’astre exclusif, séduisant, canaille, terrifiant même. Même si on sait bien d’emblée que c’est un assassin sans scrupules, il déploie assez de charme pour faire presque oublier sa filouterie et inciter le spectateur à lui souhaiter le succès ; la maîtrise du scénario permet que, vertueusement, cette franche canaille ne puisse pas aller jouir au Mexique de ses turpitudes ; et la maîtrise de Mankiewicz permet que Henry Fonda, tout aussi vertueusement, emporte un magot que, finalement il n’a dérobé à personne.

Funambulesque, vous dis-je…

 

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