Le sens de la fête

L’hyménée sauvage.

À une époque où l’on se marie de moins en moins – et où, quelquefois les enfants du couple pourraient servir de témoins lors du mariage de leurs parents – est née une extraordinaire sophistication de cette pratique ; sans doute doit-on juger que moins l’institution est vivante, plus on souhaite l’entourer de fanfreluches. Toujours est-il qu’une sorte d’obligation sociétale oblige les futurs conjoints à planifier les moindres détails de la cérémonie et à organiser une fête éblouissante, pour des invités qu’on souhaite laisser bouche bée. C’est ainsi qu’est née la curieuse profession de wedding planner qui qualifie quelqu’un chargé, moyennant finances, de mettre en place une mise en scène réussie, proposant un lieu, une décoration, des agapes, une animation musicale, un spectacle correspondant à un devis discuté dans ses moindres détails et dont le caractère précis et même tatillon des clauses fait quelquefois songer à un traité international conclu entre États souverains.

Ces singulières dispositions ne cessent de prendre de la place dans l’imaginaire des jeunes gens qui se destinent l’un à l’autre, à proportion sans doute de la perspective du divorce qui interviendra généralement après six ou sept ans de vie commune ; notre époque est pleine de ces paradoxes : on ne se fait plus trop confiance et on veut réussir ce que la presse à l’eau de rose appelle le plus beau jour de sa vie comme on réussira tout le reste, y compris sa séparation. Passons.

 Max (Jean-Pierre Bacri) dirige une petite entreprise d’organisation de fêtes qui, peut-on penser, fait plutôt dans le haut de gamme ; il est en train de se séparer de sa femme, mais ne se résout pas encore complètement à vivre au grand jour (comme on dit) sa liaison avec Josiane (Suzanne Clément), qui est une de ses collaboratrices. Il travaille avec une équipe à qui il ne fait pas toujours assez confiance (particulièrement son adjointe opérationnelle, Adèle (Eye Haidara) qui est manifestement une fille des quartiers qui veut s’en sortir) mais il trimballe surtout une bande de boulets, de parasites, d’incapables, son vieil ami photographe Guy (Jean-Paul Rouve), son beau-frère Julien (Vincent Macaigne) ancien professeur pointilleux sur la syntaxe et toute une panoplie de factotums, de serveurs, de gâte-sauce. Coléreux, anxieux, roublard, attentif à tout, il vit chaque soirée, imagine-t-on, dans un mélange d’exaltation magnifique et d’angoisse épouvantable.

À l’exception d’une séquence initiale (qui ne s’imposait pas vraiment, avec deux fiancés un peu parcimonieux), tout le film tourne autour de l’organisation d’une réception dans le sublime château de Courances, à proximité de Fontainebleau. Deux cents invités, un très gros budget, un fiancé, Pierre (Benjamin Lavernhe), issu d’un milieu très opulent mais sans doute aussi quelque chose comme banquier d’affaires ou trader ; un type odieux, péteux, cassant, narcissique, détestable, adulé par sa mère (Hélène Vincent, qu’on est ravi de retrouver si pétulante, trente ans après La vie est un long fleuve tranquille).

À ces prémisses, on devine ce qui va suivre et qui est un grand classique dans l’histoire du cinéma, des catastrophes qui s’accumulent et où chaque sauvetage funambulesque conduit presque à une catastrophe plus ample ; mais Le sens de la fête n’est pas une perpétuation des burlesques Hellzapoppin ou Branquignol et c’est tant mieux. S’y entremêlent, dans une réelle maîtrise scénaristique, une kyrielle d’histoires toutes drôles ou attachantes. Sans doute peut-on, et même doit-on juger que toutes ces histoires dont la plupart mériterait d’être développée, sont à peine effleurées superficiellement : n’empêche que leur conjugaison est très amusante et entrelacée avec une grande virtuosité. Une caméra vigilante, omniprésente et bien placée se faufile un peu partout et traque toutes les péripéties de la soirée.

Pour ne pas déflorer les nombreux gags, je ne révèle rien des tribulations qui s’enchaînent, brodées avec inventivité sur la trame initiale. Bien sûr, à y réfléchir, on voit bien surgir les chevilles et les procédés, les plaisanteries cousues de fil blanc et les situations abracadabrantes justement créées pour être dénouées ; mais on s’amuse bien, tout en s’angoissant un peu en empathie avec Max, des soucis qui s’accumulent.

N’allons pas chercher plus loin ; il est vraisemblable que dans cinq ans, lorsque le film repassera sur une chaine de télévision mineure, on aura plaisir à revoir Le sens de la fête. Dans dix ans ? Sans doute aussi. Ensuite ? C’est moins certain. On ne peut dire que Jean-Pierre Bacri occupe trop, à lui tout seul, le centre de la scène (la plupart des acteurs sont talentueux et sympathiques) mais il est pourtant le seul personnage un peu constitué, le seul qui ait de l’étoffe et de l’épaisseur. Or le propre des grands films où plusieurs histoires se juxtaposent et se faufilent est de mettre au moins deux caractères (et si possible davantage) au devant de la scène ; on sait beaucoup de Max/Jean-Pierre Bacri à la fin du film ; mais guère du chanteur James(en fait Étienne)/Gilles Lellouche et pas davantage des autres visages qui occupent un temps l’écran.

Ma note élevée ne vaut certainement que par le plaisir immédiat que j’ai pris devant l’écran et je ne suis pas certain qu’elle ne baissera pas au fil des visions. Mais c’était tout de même un bien bon moment.

 

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