Le sucre

Les voyageurs de l’impériale.

Je gage que j’aurais bien davantage apprécié Le sucre si j’avais pu goûter à leur véritable mesure tous les trafics, toutes les arnaques, toutes les spéculations, toutes les escroqueries qui sont décrites de façon un peu massive par Jacques Rouffio, le spécialiste des sujets de société bien lourdingues (les mutineries de 1917 dans L’Horizon, les mafias médicales dans Sept morts sur ordonnance). Les virtuosités des polychromes spéculations sont tellement loin de mon paysage mental (je ne suis pas meilleur qu’un autre, je suis seulement peu capable) que les montages subtils, les ressorts psychologiques, les tentations de réaliser de gros gains sans rien faire, sur la seule foi d’un tuyau me laissent bouche bée. Et que, surtout, je ne pige pas tout. Pas du tout tout, si je puis dire.

Le film est adapté d’un roman de Georges Conchon, lui-même inspiré par un scandale tout à fait réel et dont le souvenir n’était pas très ancien lorsque le roman (en 1977) et le film (en 1978) sont sortis. Du fait d’une multiplicité de causes mais aussi et surtout de manipulations douteuses, le prix du sucre avait été multiplié par 47 (quarante-sept !!) entre 1966 et 1974. De quoi bâtir des fortunes vertigineuses et duper beaucoup des nombreux gogos qui croient qu’on peut s’enrichir en dormant, titres, obligations, options d’achat, actions ayant une tendance naturelle à la bienveillance absolue au bénéfice du petit épargnant honnête.

Adrien Courtois (Jean Carmet), anonyme Inspecteur des Impôts de Carpentras peut démissionner de la Fonction publique à la suite d’une série d’héritages qui ont donné à sa femme Hilda (Nelly Borgeaud), par ailleurs pharmacienne, un assez joli petit matelas. Mais sous l’influence d’un séduisant funambule, Raoul d’Homecourt de la Vibraye (Gérard Depardieu) qui use de son charme et de son carnet d’adresses pour capter les sous des gogos, il est appâté par les gains immédiats et considérables que lui fait miroiter un coruscant bateleur, Roger Karbaoui (Roger Hanin), qui dirige une agence où ruisselle l’argent.

Il va de soi que l’innocent Adrien va de plus en plus nettement glisser son doigt, puis sa main dans les charnières de la porte jusqu’à en être complétement dépendant. D’autant que son austère épouse a pris goût à la prospérité et trouve tout à fait sympathique de pouvoir claquer l’argent à grandes guides. Jusqu’au moment où Grézillo (Michel Piccoli), le grand patron de l’industrie du sucre décide de siffler la fin de la récréation, ce qui entraîne, par une suite de réactions en chaîne, l’effondrement des nombreuses combinaisons qui ont été montées.

Jusqu’ici, et nonobstant la difficulté de comprendre toutes les entourloupes, le film fonctionne assez bien ; seulement il va falloir, dans un beau mouvement sympathique, sauver de la ruine et du suicide le malheureux Adrien/Carmet ; et la contre-offensive, menée par Raoul/Depardieu n’a absolument aucun intérêt sinon celui de voir les très mauvais punis par les un peu moins mauvais.

Excellente distribution, peut-on dire. Outre Jean Carmet et Gérard Depardieu, il faut noter la présence de ce qui se faisait de mieux à la fin des années 70. Michel Piccoli et Roger Hanin , donc, mais aussi Claude Piéplu, Georges Descrières, Pierre Vernier, Jean-Claude Dreyfus. Autrement dit, tout serait bien si Jacques Rouffio avait eu autant d’aptitude que Francis Girod qui a clairement exposé les manigances de l’argent dans La banquière du même écrivain Georges Conchon.

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