L’emmerdeur

Le goût est un peu passé…

Il y a des films qu’on ne devrait pas revoir. Ou revoir seulement en petits bouts, en sélectionnant les séquences, en ne gardant que quelques scènes, quelques regards, quelques mots, quelques répliques (Je finis mon café). Des films qui demeurent dans l’inconscient collectif mais qui, comme les fresques de la Rome antique qu’un creusement de tunnel de métro a fait apparaître, dans Fellini Roma, se décolorent et disparaissent dès qu’elles sont inondées de la lumière du jour.

L’emmerdeur est un peu de ces fragiles survivances et je doute que lorsque la génération qui l’a vu au cinéma à sa sortie (et, sans doute lors d’un de ses passages télévisés immédiatement postérieurs) aura disparu ou gagatera dans son hospice, on évoquera les mésaventures de Pignon et de Milan autrement que dans les nomenclatures exhaustives du cinéma des années 70. Et pourtant le DVD a été naguère édité avec un certain luxe, un disque pour le film, un pour les suppléments, sons mono, Dolby et 5.1, sous-titrages pour sourds et pratiquants de la langue de David Cameron et de Barack Obama. Et un bel emboîtage carton par dessus le marché. Il y a un paquet de chefs-d’œuvre qui n’ont pas bénéficié de ce traitement de faveur !

Cela posé, je ne peux pas dire non plus que j’ai été affligé, catastrophé, désolé, anéanti comme on l’est quelquefois devant un vieux plat qui repasse froid et flasque. L’idée du duo entre deux personnalités antagoniques et inconciliables, qui se rencontrent à la suite d’un improbable hasard a été surexploitée depuis lors et semble être devenue un des pont-aux-ânes les plus redoutables du cinéma comique. Mais elle avait de la fraîcheur en 1973 et la distribution des rôles était si réussie que le succès ne pouvait qu’être au rendez-vous. Lino Ventura ne cessait d’accumuler les tournages et de rencontrer de plus en plus la faveur du public. Jacques Brel, en revanche, était un peu sur le retrait, bien qu’il ait obtenu un beau succès, quatre ans auparavant, avec Mon oncle Benjamin. Mais il s’est sévèrement planté en réalisant deux films, Franz et Far West ; ses chansons sont de plus en plus torturées et pessimistes ; il va bientôt partir pour les îles Marquises vivre une nouvelle existence… et il est sans doute déjà malade.

L_Emmerdeur_01Le contraste entre les deux personnages n’était donc pas seulement dans le rôle ou le physique et les spectateurs l’ont peut-être inconsciemment bien perçu. Entre un Milan précis, déterminé, contenu, extraordinairement professionnel (ses commanditaires ont sûrement choisi le meilleur tueur à gages qui se puisse) et un Pignon gluant de mièvrerie pleurnicharde, aux cheveux qu’on sent gras et pelliculés, aux chaussettes beigeasses, aux chaussures bon marché en faux cuir crispé, à la 404 Peugeot ridiculement décorée, on est dans l’archétype (au fait, il me semble qu’on voit moins aujourd’hui qu’en 1973 des bagnoles à bestioles en plastique posés sur la plage arrière dont les yeux s’allument au freinage et à fausses garnitures fleuries autour du tableau de bord. Est-ce que je me trompe ?).

Le film commence très bien, rapide, rythmé, drôle ; personnages bien caractérisés ; intrigue d’une grande simplicité ; cadre sans doute trop théâtral (le film est issu d’une pièce de Francis Veber) mais prestement défini. Seulement ça se gâte tout de même assez rapidement et ça court de plus en plus vite vers les ficelles les plus plates du vaudeville ; au passage le film perd toute vraisemblance : à preuve le retournement amoureux aussi immédiat qu’incongru de Louise (Caroline Cellier, plutôt médiocre, infiniment moins belle que dans L’année des méduses par exemple). Et les facilités – toutes théâtrales aussi – qu’ont les protagonistes à aller et venir dans une ville en état de siège.

Molinaro ne cesse de tirer à la ligne, en remplissant comme il peut son format, pourtant court. Des trucs sans intérêt comme la course à toute allure de la R8 Gordini vers Montpellier, la réapparition du routard étasunien qui se fait pulvériser par une voiture qu’il tente de stopper, comme l’a fait Milan devant lui, les mimiques indignées du Docteur Fuchs (Jean-Pierre Darras). On a depuis longtemps compris que ça ne peut se terminer que comme ça se termine, Milan blessé et Pignon pleurnichant derrière lui…

Si au moins une rafale de mitraillette généreuse avait pu clouer les deux hommes au sol ! Mais suivant la bienveillante règle du comique bon-enfant ça se termine bien.

Ah non, ça ne tient pas vraiment la route…

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