Les infiltrés

Le soleil des voyous.

Et voilà que moi qui ne connais pas tellement et apprécie assez peu les histoires de gangsters étasuniens, j’ai trouvé que l’intérêt et l’agrément des Infiltrés s’amélioraient au fur et à mesure de son déroulement. Et cela malgré les dernières séquences, sortes d’orgies de massacres qui ajoutent à chaque instant une couche de meurtres et finissent presque par amuser, par leur abondance, au lieu de glacer.

Il est vrai que si je trouve que le film va de meilleur en meilleur, c’est qu’il m’a fallu vingt bonnes minutes pour parvenir à distinguer physiquement les deux infiltrés parallèles (si je puis écrire), Bill Costigan (Leonardo DiCaprio) et Colin Sullivan (Matt Damon) , sans doute parce que je ne connais pas plus que ça ces deux acteurs qui sont, paraît-il, de considérables vedettes Outre-Atlantique. Ce n’est que lorsque le film était déjà bien avancé que j’ai saisi que cette ressemblance physique était voulue par Martin Scorsese pour introduire un élément de trouble supplémentaire ; mais la lecture de plusieurs avis sur le sujet m’indique que je ne suis pas le seul à avoir un peu confondu les deux bonshommes et je me réjouis de n’être pas aussi gâteux que je le craignais.

J’ai donc repris le film au début et j’ai beaucoup mieux compris l’intrigue, il est vrai fort compliquée et dont l’obscurité initiale est accentuée encore par le découpage ultra-rapide qui fait passer le spectateur en un clin d’oeil de l’un à l’autre protagoniste, c’est-à-dire de la police infiltrée à la mafia infiltrée itou. On s’y perd d’autant plus facilement que les deux mondes ont des ressemblances significatives et des façons de travailler presque aussi brutales.

C’est tout de même un peu long (2h40) et j’ai, comme beaucoup, le sentiment que le réalisateur a trop paresseusement fait traîner le récit qu’il aurait bien pu élaguer de trois bons quarts d’heure ; par exemple en éliminant complètement le personnage féminin de la psychanalyste Madolyn (dont on n’entend d’ailleurs plus du tout parler, à la fin), interprété, de façon tout à fait charmante, il est vrai par Vera Farmiga, mais dont on peut se demander ce qu’il apporte au déroulement de l’intrigue. Et qui, de surcroît, ne permet pas d’apporter beaucoup de chair à la personnalité des deux antagonistes.

 C’est d’ailleurs là, avec l’excessive durée, le point faible des Infiltrés : on sait bien que, dans le genre du film de gangsters, on n’a plus grand chose à découvrir sur l’invraisemblable sauvagerie des tueurs, sur leur rapacité, leur cynisme et tout le bataclan. On sait aussi que police et truanderie rivalisent depuis toujours de subtilités, de finasseries, de coups tordus, se tendent des pièges compliqués, jouent au chat et à la souris et que c’est de ces articulations arachnéennes que sont tissées les trames des films de genre. Mais il me semble que, pour se hausser un peu au delà du film de genre, précisément, pour assembler une vraie toile chatoyante et solide tout à la fois, il ne faut pas seulement une trame, mais aussi une chaîne, c’est-à-dire des personnages d’une belle densité. Et dans Les infiltrés, je trouve qu’il n’y a guère que le gangster Frank Costello qui soit de cette trempe. Qu’il soit interprété par le génial Jack Nicholson n’est évidemment pas pour rien dans mon point de vue, mais pour autant on ne peut pas dire que DiCaprio et Damon dénotent ; mais si on admire les acteurs, on ne perçoit pas les personnages. C’est dommage car les policiers et les truands du second plan ne manquent pade substance, notamment chez les uns le sergent-chef Dygnam (Mark Wahlberg) et chez les autres le tueur French (Ray Winstone).

 Mais bon ! Ça ne donne absolument pas envie de travailler au sein de l’hôtel de police de Boston (j’ai rarement vu bâtisse plus hideuse ; peut-être au fond de la Moldavie ou du Tadjikistan y a-t-il encore pire, mais ça n’est pas certain) et ça conduit à regarder tout le monde avec un air soupçonneux (L’est-il ou ne l’est-il pas ?). Pour autant le film est loin d’être désagréable, si on veut bien oublier, en regardant ce qui n’est qu’une œuvre de série que Martin Scorsese est surtout l’auteur de Taxi driverAfter hours et Silence …

 

Leave a Reply