Les maudits

En route pour l’enfer.

Curiosité piquée à bon escient pour un film excellent, bien construit, inquiétant, où, le 19 avril 1945, un ramassis de fanatiques, de collaborateurs compromis ou de simples arsouilles quitte Oslo, encore sous la main de l’Allemagne, quelques jours avant son effondrement, pour l’Amérique du Sud, où se réfugièrent, de fait, nombre de criminels nazis.

Pour certains, l’Argentine sera une base de départ nouvelle d’un nouveau combat ; pour d’autres, ce sera un moyen d’échapper au châtiment, aux procès, à l’indignité. Tout ce petit monde interlope barbote dans les espaces très restreints d’un sous-marin admirablement photographié et mis en valeur par la technicité, toujours impeccable de René Clément qui, outre d’être un cinéaste à la large palette, était un inventeur, un bricoleur, un artisan de génie dès qu’il s’agissait de réaliser des prouesses de réalisation. (L’excellent supplément de l’édition DVD donne des angles extrêmement intéressants sur cet aspect et relate notamment l’ingéniosité de Clément et de son chef opérateur, Henri Alekan pour filmer sous tous les angles un submersible reconstitué avec une exactitude minutieuse).

original-508520-878Il y a un côté un peu artificiel, mais qui déclenche les péripéties du scénario : pour effectuer son long périple, le sous-marin est dépourvu d’un médecin ; qu’à cela ne tienne ! On va aller en cueillir un dans ce que les Allemands croient encore être la poche de Royan, mais qui, manque de pot, vient de tomber aux mains des Alliés. Et le sort échoit au Docteur Guilbert ; c’est l’épouvantablement mauvais Henri Vidal dont la postérité n’aurait pas gardé trace s’il n’avait été, après leur rencontre dans Fabiola, le mari de Michèle Morgan, mais sa présence ne suffit pas à abîmer le film.

Pourquoi ? Notamment parce que le microcosme représenté est suffisamment inquiétant et morbide : un général de la Wehrmacht au menton impérieux et sa maîtresse, nazie des Sudètes, (et, de fait, Florence Marly était née en Bohême du Nord) mariée à un affairiste italien, dont on comprend qu’il a été un des soutiens financiers de la République de Salo, un journaliste français trouillard (Paul Bernard), dont le modèle a été Jean Luchaire ou Paul Ferdonnet, un savant norvégien et sa fille, mais surtout le couple homosexuel étrange – et audacieusement présenté – composé d’un idéologue nazi et de son mignon.

LES-MAUDITS-1946_portrait_w858Le Nazi, Forster, c’est Jo Dest qui a une des gueules les plus antipathiques du cinéma mondial et représente assez exactement l’archétype du fanatique ; c’est l’Allemand (naturellement !) du minable cénacle européen du Salaire de la peur ou le Boche tortureur d’un des segments de Retour à la vie ; il est absolument remarquable dans le genre immonde ; mais n’est pas mal non plus le giton, Willy Morus, à qui Michel Auclair prête son visage assez veule ; très curieusement, à la fin, lorsque tout le monde s’est étripé, ce sale type qui a tout de même assassiné deux protagonistes, son maître et amant mais aussi Marcel Dalio, gluant et gominé, s’en sort bien ; bienvenu unhappy end !

Clément à la réalisation, Alekan à la photographie, et Henri Jeanson aux dialogues (On ne respecte que les morts qui ont été des vivants respectables) : équipe solide et film réussi


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