Les mauvais coups

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Drôlement bien !

Voici donc encore un jeune auteur français qui, pour son premier long métrage, fait preuve de personnalité, de tempérament, d’ambition : on lit cela, extrait d’une critique de l’époque (1960) et on pense qu’il est bien dommage que François Leterrier, auteur ensuite de l’exceptionnelle adaptation d’Un roi sans divertissement, d’après Jean Giono, puis de Milady, d’après Paul Morand (dont l’édition DVD est réclamée à cor et à cris et pas seulement par les amateurs d’équitation), que ce jeune réalisateur n’ait pu – ou su ? – trouver de public fidèle ou de producteur suffisamment courageux, et qu’il ait été réduit à tourner les porno soft de la série d’Emmanuelle ou, ce qui est beaucoup plus honorable, mais guère ambitieux, les adaptations des bandes dessinées féroces de Gérard Lauzier, Je vais craquer !!! ou Tranches de vie.

Ce long préambule posé, j’annonce ici, et Urbi et Orbi que j’ai découvert cette après-midi un superbe film, austère, cynique, cruel, sombre comme l’histoire qu’il raconte, qui n’est pas seulement porté par l’interprétation magnifique de Simone Signoret – dont c’était alors le retour en France, après quatre ans passés aux États-Unis – mais aussi par une façon de filmer lente, ample, grave et une photographie en noir et blanc somptueuse (et remarquablement restaurée).

Milan (Reginald Kernan) ancien coureur automobile fatigué et sa femme Roberte (Signoret, donc) vivent la déchéance de leur couple – qu’elle essaye de noyer dans l’alcool – dans une campagne d’hiver désespérante. Images initiales de froid, de silence, brume glacée, étangs désolés, grande maison presque hostile.

Les jours sont vides et lents, à peine animés par de maigres chasses sur un gibier absent, par des silences et des querelles, par des paroles d’une grande cruauté (Milan à Roberte : Quand je fais quelque chose avec toi, je finis toujours par avoir honte de moi.).

L’ennui est terrible, terrifiant. A l’arrivée au village de la jeune institutrice Hélène (la si belle Alexandra Stewart), Roberte joue un jeu trouble, pousse Hélène à braver des interdits, se met encore davantage en péril ; après tout, elle préfère encore évidemment que Milan ait une aventure, même longue, même importante, même destructrice, pourvu qu’il soit là.

Mais Milan, qui est un homme qui ne veut plus jouer à rien, qui veut seulement fuir l’enfer de la claustration que Roberte lui impose par le seul fait qu’elle existe, ne veut pas, malgré son désir, à cause de son désir peut-être même, toucher à Hélène. Il s’en va, il va piloter à nouveau des Ferrari. Roberte ne le supportera pas ; Hélène a encore de l’élan vital : elle épousera sûrement son insignifiant petit fiancé….

L’auteur du roman dont est adapté le film est Roger Vailland (qui a également écrit les dialogues, quelquefois un soupçon trop littéraires) ; trop oublié aujourd’hui, Vailland, était un écrivain extraordinaire qui poussait le dandysme jusqu’à jouer à être communiste (à une époque, il est vrai, où le Parti était le phare de la Pensée, réunissant écrivains (Aragon), artistes (Picasso), philosophes (Politzer), acteurs (de Gérard Philipe à Yves Montand, dociles compagnons de route, comme on disait).

Beaucoup de romans de Roger Vailland, à l’écriture sèche et cinématographique, ont été adaptés à l’écran, de La loi de Jules Dassin, à La truite de Joseph Losey, en passant par Drôle de jeu de Pierre Kast et Beau masque de Bernard Paul. Ces Mauvais coups sont parmi les meilleures des adaptations…

Pathé classique fait vraiment du beau travail – tellement supérieur à la désinvolture scandaleuse de René Château ! – : belle restauration de l’image et du son, livret élégant ; le minimum, néanmoins pour les suppléments (et puis, comme un désagréable bricoleur sévissait aujourd’hui dans mon immeuble, j’ai été contraint de placer les sous-titres pour sourds et malentendants (ce que je ne suis pas tout à fait encore) et je me suis effaré de l’inculture de nos pourvoyeurs de sous-titres : deux exemples : alors que Milan, coureur automobile, donc, de la génération des Stirling Moss, Peter Collins, Mike Hawthorn, regarde des photos, et qu’il dit C’est à Monza (le grand circuit italien), on écrit C’est Damonza ! (comme si Le Pirée était un homme) ; et puis, alors qu’on entend la voix de Raymond Marcillac, dans un bistro où les villageois sont venus regarder Télé-Dimanche présenter l’émission, l’invité du jour, André Dassary, se transforme en Dasari ! Vivement que je disparaisse : je ne supporte plus cette désinvolture-là…

Bon. que mes ratiocinations séniles et ronchonnes ne détournent personne de voir ces excellents Mauvais coups, vraiment accablants comme un Dimanche de pluie….


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