Les nuits de Montmartre

Et au milieu coule une rivière…

Le dernier tiers du film, plutôt nigaud, ne doit pas faire oublier la charmante allure des débuts. On s’amuse bien à retrouver un de ces films de samedi soir qui appâtaient le chaland avec des recettes très éprouvées. Dans Les nuits de Montmartre, pour les yeux provinciaux ébaubis et ne demandant pas mieux que de l’être, il y a tout ce qu’un spectateur de Romorantin ou d’Hirson pouvait espérer trouver. D’abord quelques cartes postales initiales sur la Capitale, quelques vues de Saint Germain des Prés, Notre Dame, les arcs de triomphe du Carrousel et de l’Étoile, Le Louvre, le Sacré Cœur… Puis une incursion dans une boîte de nuit, dans un Gay Paris fantasmé où du beau monde boit du champagne en applaudissant des orchestres jazzy et des numéros de music-hall. Enfin un titre qui laisse supposer qu’il y aura au rendez-vous quelques filles bien déshabillées pour l’époque…

Sur ce dernier point, il faut tout à fait déchanter : pas l’ombre d’un sein dénudé, pas la moindre esquisse d’un sage strip-tease ; tout au plus y a-t-il un mambo assez sensuel dansé avec un certain talent par Jacques Ary et Geneviève Kervine, mais ça ne va pas très loin : certains ont dû être un peu déçus.

Ils avaient tort car le film, du moins au début, vaut mieux que les multiples spectacles roublards qui mélangeaient numéros de music-hall et intrigues minimales. Il est vrai que les prestations de l’orchestre de Camille Sauvage ne valent pas tripette, que le clarinettiste qui le dirige (abominablement vêtu d’un complet blanc cassé avec des chaussures blanches) se désarticule en gigotant d’une façon bien niaise, qui fait regretter la charmante distinction de ses prédécesseurs, Ray Ventura, Fred Adison ou Aimé Barelli. Il est vrai qu’on peut s’étonner de la prestation, dans une boîte de nuit assez chic, d’Édouard Duleu, un des papes de l’accordéon-musette, davantage voué aux bals populaires et aux réjouissances prolétariennes. Il est vrai enfin que la chanson du film, interprétée par Aglaé, n’ajoute rien à la gloire de ses auteurs, Pierre Roche et Charles Aznavour. Mais enfin l’atmosphère est agréable et les fêtards sont élégants (n’exagérons rien : au lendemain de la Guerre, les fêtards portaient encore frac, à la limite smokings ; dix ans plus tard, en 1957, les hommes ne sont plus qu’en costumes sombres : la décadence est amorcée).

Et puis surtout il y a beaucoup d’inventivité et de charme dans les aventures malhonnêtes de Bobby (Jean-Marc Thibault), espèce d’escroc sympathique, à la Arsène Lupin, qui dévalise avec volupté – et presque davantage encore pour la beauté du geste que pour l’argent – à la fois malfrats détestables et bourgeois ventripotents. Un petit gars qui plaît à beaucoup de monde et notamment à sa compagne Monique (Geneviève Kervine, donc, qui fut Miss Dents blanches, haleine fraîche dans une célèbre publicité pour le dentifrice Colgate). Un petit gars qui est recherché par la Police judiciaire, qu’il fait tourner en bourrique ; l’Inspecteur Doirel (Louis Seigner) voudrait bien le mettre à son tableau de chasse, n’y parvient pas et arrive à ressentir une certaine sympathie pour ce monte-en-l’air qui s’échappe toujours de toutes les situations.

Comme il faut bien faire avancer l’intrigue du film, voilà qu’interviennent de sales créatures, un homme du monde, Mureau (Jean Marchat) qui trafique de la drogue, connaît une vie de couple dévastée et courtise assidûment Monique. Assassinat de la femme de Mureau. Bobby est suspecté et a toutes les apparences contre lui. Mais on devine que tout cela va s’arranger et que le brave escroc partira aux colonies pour s’acheter une conduite avec la bénédiction de l’inspecteur de police.

Tout cela ainsi exprimé paraît un peu bêta ; cette impression n’est pas fausse, mais comme le plaisir de voir, dans toutes pores, dans tous ses replis, le beau Paris (encore très noirci, il est vrai) de 1957 est agréable…

 

Leave a Reply