Visiblement je vous aime

Pourquoi pas ?

Dès que j’ai saisi que le film se passait dans le lieu de vie du Gard appelé Le Coral, dirigé par Claude Sigala, une très vague petite musique de souvenir s’est mise à fredonner dans ma tête. Et comme Wikipédia est bien pratique pour réparer les trous d’une vieille mémoire, je n’ai pas eu beaucoup de mal à replonger dans la très poisseuse affaire du Coral, survenue en 1982. Une salle histoire de ballets bleus, roses ou multicolores dans ce lieu de vie. Sans doute, peut-être, une histoire montée de toutes pièces pour discréditer plusieurs politiques – et en premier lieu le mirobolant Jack Lang – une histoire qui a fait plus ou moins pschitt mais qui a tout de même valu à Sigala trois ans de prison dont un avec sursis, réduits en appel à trente mois avec sursis. Le plus vraisemblable, d’après ce que j’ai compris est que, dans la mouvance des théories libertaires issues du détestable Mai 68, il régnait dans l’établissement une totale liberté sexuelle.

Ah ! au fait, le Coral était (et sans doute demeure) une des places-fortes de l’antipsychiatrie et mêlait des pensionnaires autistes, psychotiques et délinquants d’habitude confiés par les affaires sociales afin qu’au contact les uns des autres ces malheureux reçoivent des chocs salutaires leur permettant de trouver ou retrouver une certaine dignité humaine. Pourquoi pas ? je suis tout à fait admiratif devant ceux qui vouent leur vie à des utopies régénératrices et généreuses, même si leur angélisme m’agace un peu. En tout cas je ne suis pas certain que ces lieux marchent moins bien que les institutions traditionnelles.

Le réalisateur de Visiblement je vous aimeJean-Michel Carré, est un documentariste d’un certain renom, militant maoïste de jadis. Je me souvenais de lui pour avoir tourné un très curieux et confondant Alertez les bébés ! en 1978 où était dénoncé (je cite) l’aspect normatif de l’enseignement et son inféodation à une société de classe, en gros de faire de nos enfants des esclaves du Capital, Moloch insupportable. Ça ne m’avait pas du tout plu, parce que les enfants sont chose sérieuse, et même la plus sérieuse qui se puisse. Je ne dis pas que les problèmes psychiatriques le soient moins (enfin si, plutôt moins), mais enfin les expérimentations sont plus commodes.

Le scandale d’abus sexuels étant classé (procès d’appel en 1987) et pour redresser la réputation que j’imagine un peu ternie de la maison, autant lui consacrer un film semi-fictionnel où seront montrés des personnages attachants et l’influence bénéfique que de petits loubards peuvent retirer de leur approche. Placer donc une intrigue – des plus vraisemblables – au cœur d’un reportage employant plusieurs pensionnaires du Coral mêlés à quelques acteurs professionnels. La gageure n’était pas mince et elle est assez réussie, bien que le fil du récit soit ici et là un peu confus ; mais il est vrai que le parti-pris de filmer de nombreuses séquences très nocturnes et de faire appel à l’improvisation ne facilite pas les choses.

Donc Denis (Denis Lavant), une petite boule de violence et de haine (on ne saura rien de plus à son sujet) est placé par le Juge des Tutelles en pleine campagne gardoise. Il apprend à connaître ses étranges camarades, mutiques ou bavards, cinglés ou débiles profonds, doux ou brutaux. Il doit accepter l’autorité intelligente de Claude Sigala, qui joue avec talent son propre rôle et de sa femme (ici interprétée par Dominique Frot). Initialement révolté, plein de mépris pour les uns et les autres, Denis apprendra peu à peu à apprécier ses compagnons. On peut espérer, à la fin, qu’il se sortira d’affaire et peut-être, comme d’autres l’ont fait, deviendra lui-même éducateur.

Au passage est décrite une opération mensongère où le patron du Coral est accusé de trafic de drogue et vite innocenté. Une façon de régler les comptes avec l’affaire ancienne. Il n’y a pas de petits profits !

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