Les producteurs

Affiche

Le Führer en folie.

Il me semble bien que c’est là le seul film que j’aie jamais vu de Mel Brooks, le seul aussi de Zéro Mostel et de Gene Wilder. Des noms, pourtant que je connais mais qui, vérification faite sur Wikipédia, confirment que je suis absolument étranger à ces artistes pourtant fort drôles. Je suis bien incapable d’expliquer pourquoi, d’autant que Les producteurs, vus à leur sortie à Paris, en 1971 (et je me souviens même où : à L’Arlequin, rue de Rennes) m’avaient fait bien rire. Voilà qui fait partie des mystères profonds d’une vie de cinéphage, voué à avaler tout et n’importe quoi, non selon un plan raisonné de découvertes des genres ou des auteurs mais en fonction de ses vagabondages et de ses toquades, justifiés ou non.

Cela étant, je ne place tout de même pas cette ignorance au rang de mes grands regrets et je ne suis pas certain qu’une fréquentation assidue de l’œuvre de Mel Brooks m’aurait porté aux mêmes sommets que celle de Claude Sautet, à la même époque. Aucun rapport ? Évidemment ! Le genre déjanté, sarcastique, parodique, outrancier est un de ceux où les cinéastes, selon l’expression équestre, tutoient l’obstacle avec le plus de risques et où on n’est pas forcément indemne du mauvais goût.

Dieu merci, il n’y a pas de trace de vulgarités faciles dans Les producteurs : il y a simplement une idée, fort drôle, qui s’essouffle un peu trop vite. Le film part à 150 à l’heure, mais ahane au fur et à mesure qu’il se déroule ; on sent bien, à sa fin et malgré sa durée assez brève, qu’il n’y a plus beaucoup de carburant dans le moteur. Habituel travers des films bâtis sur une seule idée, aussi habile ou amusante soit-elle, qui ont un superbe éclat de façade, mais guère de profondeur, ne serait-ce que parce que les personnages sont de simples silhouettes, ou des caricatures.

Il ne faut pourtant pas bouder son plaisir et ce que je viens d’écrire ne doit pas laisser penser qu’il y ait de la réserve de ma part (il y a simplement l’indication des limites du parti-pris). Mel Brooks bâtit un truc très amusant, avec des scènes irrésistibles, des dialogues percutants et un début absolument ravageur. Les mésaventures du producteur déchu Max Bialystock (Zero Mostel), contraint par la dureté des temps à cultiver les frustrations de dames d’un large Troisième âge et à mendier, à la fin de pitoyables ébats, son ché-chèque, comme un cabot sollicite son su-sucre sont impayables. J’ignore si la traduction française est fidèle à la langue originale, mais les échanges fiévreux entre Ribaude ardente et Grand gosse libidineux sont une pure merveille.

Avec l’aide du minable petit comptable Léo Bloom (Gene Wilder), Max va monter une subtile arnaque où une pièce de théâtre commanditée par un régiment de vieillardes salaces connaîtra d’emblée un four monumental, ce qui permettra de récupérer les très larges miettes de la fastueuse production… Voilà un truc qui sent d’évidence son petit fait vrai et je ne doute pas une seconde que de très nombreux requins aient profité de ce genre de montages pour faire des faillites frauduleuses ou des banqueroutes profitables (je dois dire que je n’ai jamais compris la différence entre l’un et l’autre tripatouillage). Il faut une pièce abominable, un metteur en scène fou furieux, des acteurs impossibles. Les deux complices trouvent assez vite une pièce sidérante Springtime for Hitler écrite par Franz Liebkind (Kenneth Mars), ancien Allemand nazi (pléonasme !) émigré aux États-Unis et nostalgique des Cathédrales de lumière, sélectionnent un metteur en scène minable, Roger de Bris (Christopher Hewett) qui forme avec son secrétaire Carmen (!) (Andreas Voutsinas) un couple de style Cage aux folles. Et ainsi de suite.

Mais au lieu d’être un four, la pièce est un triomphe. Et on comprend tout à fait pourquoi. C’est un peu là que le propos de Mel Brooks ne fonctionne plus : la représentation est si sarcastique, si vive, si bien léchée qu’elle ne peut qu’être applaudie. Au fur et à mesure que le film se déroule, il s’épuise, donc, pour aboutir à une conclusion trop logique. N’empêche que, pour les trois premiers quarts d’heure, Les producteurs est une bouffonnerie délicieuse, si croustillante que le film fut, paraît-il, interdit en Allemagne. Les Germains n’ont, à dire vrai, jamais eu beaucoup de finesse et d’humour.

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