L’homme à la Buick

Honfleur jungle.

Dès que l’on apprend que c’est Jean Gabin et non Fernandel qui devait interpréter Armand Favreau, le personnage principal de L’homme à la Buick, on comprend mieux ce qu’on pourrait appeler la raison d’être du film qui, tel qu’il nous apparaît, n’en a aucune ou plutôt une raison si bizarre qu’elle décontenance complétement. Parce que voir Fernandel séduire la délicieuse veuve noire Michèle de Leyrac (Danielle Darrieux), c’est tout de même un des chocs les plus puissants que j’ai ressentis en 65 ans de cinéphagie.

Cela dit, et donc désormais mieux compris, il ne me semble pas que L’homme à la Buick mérite l’opprobre dans quoi il est honteusement plongé. C’est du classique cinéma à la Gilles Grangier pour spectateurs peu regardants sur les détails mais assurés de trouver, le samedi soir venu, dans la salle de quartier, après les esquimaux Gervais et le sac de bonbons Kréma, un spectacle simple, des acteurs connus, des paysages rassurants et un récit compréhensible.

Il faut dire que, sur ce dernier point, le plus obtus des spectateurs saisit d’emblée tout ce que la double vie du gangster peut apporter d’amusant par la disparité des séquences alternées : après que Favreau/Fernandel aura séduit la bonne société opulente d’Honfleur, le voilà pilotant son équipe de braqueurs où figurent – c’est la loi du genre – tout l’échantillonnage habituel des demi-sel : l’homme du monde décavé, surnommé Le marquis (Jean-Pierre Marielle), Lucien (Georges Descrières), le barbeau retiré des affaires qui a épousé Paulette (Amarande) sa meilleure gagneuse. Puis les hommes de main, Maxime (Christian Barbier), qui aimerait bien contester les décisions du chef mais n’en n’a pas le cerveau et les deux plus bas de plafond, La paluche (Mario David) et Tonnerre (Henry Czarniak). On est dans un domaine rassurant. Au fait ce genre de situations n’est pas rare au cinéma : sans évoquer tous les équilibrismes du génial Arsène Lupin (Robert Lamoureux dans sa meilleure incarnation, à mon sens), il y a un bien intéressant Bienfaiteur (1942) d’Henri DecoinRaimu est à la fois un nouveau venu qui vient s’installer bourgeoisement dans un petit patelin et un malfaiteur important.

Mais ce qui ne va pas mais alors pas du tout dans L’homme à la Buick, c’est évidemment celui sur qui presque tout le film repose, Fernandel, aussi crédible en chef de bande et séducteur que je le serais en danseuse nue des Folies-Bergère. Dès lors le merveilleux charme de l’empoisonneuse (au sens premier, évidemment !) Danielle Darrieux, délicieuse et vénéneuse dès qu’elle intervient, n’y peut pas grand chose : le film interloque par ce décalage, le grand interprète du Schpountz et de Don Camillo ne parvenant pas à faire croire une seconde à son personnage. Tiens au fait, puisque j’évoque le film de Marcel Pagnol, il y a une scène où Favreau/Fernandel égaye les gamins qui vibrionnaient autour de sa Buick, comme le Schpountz le faisait aux dernières images devant l’épicerie des Accoules pour d’identiques polissons..

C’est d’autant plus regrettable qu’il y a quelques bons trucs, le générique assez haletant, très thriller et la musique jazzy de Michel Legrand. Et puis le dialogue est d’Henri Jeanson et c’est même le dernier qu’il ait écrit. Avec quelques perles ; ainsi, à Fernandel qui se renseigne sur le climat d’Honfleur : – Il pleut beaucoup ici ? et la bistrote qui lui répond – Oui, surtout en été, parce qu’en hiver, ça se remarque moins. Ou à Paulette/Amarande qu’il doit employer pour un hold-up, mais qu’il trouve habillée trop sexy : Pour sortir en ville, tu n’aurais pas quelque chose de moins business on the street ?

Ah, aussi, note narquoise… Le film est sorti sur les écrans parisiens le 12 janvier 1968. Quand je pense qu’il y en a qui disent qu’ils avaient prévu ce qui se passerait rue Gay-Lussac quatre mois plus tard…

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