L’incompris

Le fils préféré.

C’est l’histoire d’Andrea (Stefano Colagrande), un gamin d’une dizaine d’années, qui est intrépide, pur, courageux, un peu rebelle, qui vit encore à pleines bouffées dans le monde mystérieux de l’enfance dans une sublime maison patricienne de la sublime ville de Florence. Il vient de perdre sa maman. C’est aussi l’histoire de son père, Sir John Duncombe (Anthony Quayle) qui est Consul général de Grande-Bretagne. Il est éperdu de douleur mais, en fier Britannique de la gentry, il n’en laisse rien voir. Et enfin l’histoire de Milo (Simone Giannozzi), petit frère d’Andrea, qui ne doit pas avoir beaucoup plus de six ans.

 On devine d’emblée que Sir John a, de tout temps, sans doute inconsciemment, préféré Milo, le cadet à Andrea, l’aîné. Peut-être parce qu’il est de santé plus fragile, qu’il est plus docile, un peu craintif, parce qu’il ressemble davantage à sa mère, aussi. Sir John n’y peut rien, ou presque : Andrea le fatigue et l’agace. Mais il paraît assez âgé pour apprendre de plein fouet, en pleine figure, que sa mère est morte et ne reviendra pas à la maison, alors que l’on peut conter à Milo des fariboles sous prétexte qu’il est encore petit et qu’il ne supporterait pas la réalité.

Quelle erreur ! C’est là que l’intelligence de Luigi Comencini et de ses scénaristes Leonardo Benvenuti et Piero De Bernardi est profonde : on sait depuis longtemps que l’empathie et l’affectivité se développent avec l’âge, au fur et à mesure que le petit d’homme se civilise, en étant à la base aussi dépourvu qu’il l’est de conscience morale ; les billevesées à la Jean-Jacques Rousseau ont fait long feu.

Et donc, c’est bien Andrea qui est écrasé de chagrin et non pas Milo qui, quand il apprend par hasard la réalité, s’en accommode assez bien. Milo, quand il n’est pas malade, ne songe qu’à jouer, qu’à courir, qu’à imiter le grand frère qu’il aime et qu’il admire, qui est un peu casse-cou et très intrépide.

L’enfance des petits garçons a, de tout temps, été un monde à part. Montherlant, qui s’y connaissait (pas de sourires graveleux, s’il vous plaît : ce n’est pas de ça qu’il s’agit), Montherlant a écrit : Il y a trois sortes d’êtres : les hommes, les femmes et les petits garçons. Je crois l’observation profondément juste et la grande qualité du film est de nous faire pénétrer dans ce monde à part, où les règles des grandes personnes ne sont pas tout à fait appliquées. Où, par exemple, la vilaine bêtise de Milo, qui fait exprès, en s’arrosant d’eau froide, de tomber malade pour que son grand frère soit puni et ne puisse accompagner leur père en voyage, n’entraîne de la part de l’aîné ni désir de vengeance, ni même amertume…

Parce que Sir Duncombe, éclairé par la sage subtilité de l’excentrique Oncle Will (John Sharp) commence à comprendre que son aîné a désespérément besoin de sa tendresse pour pouvoir surmonter le grand vide de l’absence de sa maman. Et qu’il va, avec un peu de maladresse mais beaucoup de bonne volonté, essayer de créer avec Andrea ces liens de confiance et de complicité qui ont sans doute toujours manqué à leur relation.

On pourrait penser, espérer, croire, que tout va s’arranger ; mais il y a une logique de la douleur et de la mort dans le film. Mélodramatique, bien sûr, comme le sont tant d’histoires tristes où meurent des enfants et qui ne sont pas toutes fausses ni inventées pour faire pleurer Margot. Sans doute peut-on trouver les dernières séquences un peu larmoyantes et un peu niaise la dernière image où, dans un reflet, le visage d’Andréa mort se superpose au portrait de sa mère chérie ; mais il y a par ailleurs tant de justesse dans la mise en scène de cette famille stupéfaite, sidérée par ce grand vide de la disparition de celle qui assurait son équilibre et son harmonie qu’on est tout prêt à suivre…

Un mot pour qualifier d’exemplaire l’authenticité des deux acteurs enfants dont ni un rire, ni une larme ne sont de trop…

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