Marche à l’ombre

Sans toits ni lois.

On peut opportunément se souvenir que pour sa première réalisation  Michel Blanc avait reçu le concours de Patrick Dewolf, fréquent scénariste de Patrice Leconte. On pourrait tout autant établir un lien d’évidence entre les deux cinéastes. Car Marche à l’ombre, qui date de 1984 coule dans une veine assez analogue à celle de Viens chez moi, j’habite chez une copine qui remonte à 1981. Et je serais bien surpris que, pour faire ses quenottes, Michel Blanc ne se soit pas largement inspiré de son propre personnage du film de Leconte : fragile et râleur, pique-assiette à la morale élastique, d’une grandiose mauvaise foi et par dessus tout, d’un égoïsme qu’on n’imagine pas.

 Il est vrai aussi que ce personnage était déjà celui du Jean-Claude Dusse des Bronzés, enrichi, si je puis dire, au cours des ans. Un clampin au physique très ordinaire et malgré cela (ou à cause de ça), obsessionnellement dragueur, à la main et à l’œil baladeurs, agressif comme un roquet et aussi trouillard que lui. Un type qui s’abrite avec une sorte d’inconscience et de suffisance derrière l’équilibre (et les biscottos) d’un ami plus doué pour la vie, le travail et les filles. L’attachement du grand baraqué beau gosse (Bernard Giraudeau là, Gérard Lanvin ici) paraît tout à fait incompréhensible. Et pourtant qui de nous n’a pas connu ce curieux assemblage amical qui ouvre des tas de perspectives sur les relations humaines et les cheminements bizarres de l’amitié ?

On perdrait son temps à recenser les rapports – on pourrait dire les clins d’œil – entre les deux films et qui vont de l’emploi de chansons de Renaud à l’utilisation, pittoresque et chaleureuse de squats africains et d’ateliers à peu près clandestins : c’est assez bien amené pour qu’on s’amuse.

Et même qu’on se régale. Parce que les dialogues, de la main même de Michel Blanc sans doute, claquent impeccablement (Tu supportes si peu le soleil que tu as même fait une insolation dans une boîte de nuit ! ou encore Piquer des trucs chers, c’est du vol !) et parce que, heureusement court (85 minutes) le film est continuellement rythmé, dans une intrigue minimale mais qui se suffit à elle-même, sans qu’il y ait eu besoin d’y ajouter des pseudopodes parasites.

Ceux qui me font l’honneur de me suivre savent que c’est là un de mes dadas : de nombreux films se construisent sur une idée amusante, originale, quelquefois tonitruante mais dont les effets sont limités ; pour atteindre la durée syndicalement fixée ou pour rentabiliser les décors ou l’emploi des têtes d’affiche, ou pour je ne sais quelle raison, voilà que le réalisateur et le scénariste entreprennent de coudre sur leur idée de départ des épisodes ventripotents qui diluent leur film au détriment de la nervosité de récit qui doit en être la base. Ceci ne s’applique évidemment pas à d’autres genres de cinéma, plus paisibles, contemplatifs presque, où la beauté des images et la langueur du temps qu’on savoure supportent fort bien la lenteur (un exemple me vient en tête sur le champ : Urga de Nikita Mikhalkov, mais il y a assurément des dizaines de films dans ce cas là).

Toujours est-il que les aventures minables et impayables des deux compères qui, commencées à Marseille se terminent à New-York, font partie de ces joyeux petits morceaux nostalgiques dont on ne se lasse pas. C’est léger, drôle, enlevé, sympathique comme tout…

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