Martin et Léa

Le pain de ménage.

Ce qui est certain, c’est qu’aucun film d’Alain Cavalier n’est dérisoire, insignifiant ou, surtout, banal. Un réalisateur tout à fait en marge, incapable de se fondre dans la masse molle ou de filmer un de ces sujets de société qui font florès un peu partout et finissent par remplir les cases obligées des chaînes de télévision. On peut s’étonner de certains choix, de certaines orientations, d’une certaine propension du réalisateur à ne filmer, si l’on peut dire que pour lui, au travers d’insistances mises sur certaines obsessions personnelles (Libera me) ou même d’autobiographies clairement revendiquées (Le filmeur). Ce n’est pas toujours satisfaisant ni convaincant, mais ça n’est jamais absurde ou ridicule.

Je ne crois pas qu’il y ait la moindre part d’autobiographie dans Martin et Léa, mais enfin il y a la mise en scène au cinéma de ce qui était un véritable couple dans la vie, ce qui n’est jamais absolument dépourvu d’arrière-pensées (y compris dans films aussi différents que Madame porte la culotte de George Cukor avec Spencer Tracy et Katharine Hepburn ou que Eyes wide shut de Stanley Kubrick avec Tom Cruise et Nicole Kidman). Chez Cavalier, il y a Martin (Xavier Saint-Macary), manutentionnaire un peu désinvolte, qui ne rêve que de bel canto, a une belle voix de baryton, qu’il forme et assouplit chez Wolff (Louis Navarre), un exigeant austère professeur. Et Léa (Isabelle Ho) exerce le singulier métier d’entremetteuse, au bénéfice de Lucien (Richard Bohringer) qui vit d’on ne sait quels trafics et qui, en échange de chairs fraîches, l’entretient très convenablement.

Martin et Léa se sont rencontrés de façon très hasardeuse (il m’a fait rire, dit Léa à sa colocataire Viviane (Cécile Le Bailly) qu’elle vend habituellement à Lucien). Les premières images du film les montrent au lit mais si Martin en est enchanté, Léa est plutôt agacée. Et puis au fil des jours, des semaines, l’harmonie, la confiance, l’amour vont s’installer. Et la dernière séquence, d’une très chaleureuse beauté montre Léa nue, enceinte, caressée par les mains et surtout le regard émerveillé de Martin.

Entre-temps il y a eu quelques péripéties goguenardes – la jeune Cléo (Valérie Quennessen) qui a essayé de rouler Lucien et qui se fait remettre en place – ou tragiques – l’aussi jeune Viviane qui se suicide au gaz parce que, finalement… pourquoi pas ? – mais avant tout l’attirance solaire des deux jeunes gens.

On peut s’étonner un peu qu’un cinéaste déjà très expérimenté et habile soit dans ce film si maladroit. Avant Martin et Léa, qui est de 1978, Cavalier a tourné deux bons films politiques (Le combat dans l’île 1962, L’insoumis 1964), un thriller excellent (Mise à sac 1967) et une superbe adaptation littéraire (La chamade 1968). Il a de la bouteille et du talent.

Mais là il filme sans assez de finesse les pérégrinations de ses quatre ou cinq personnages principaux qui se croisent et s’entrecroisent comme ils le feraient sur une scène de théâtre et ses dialogues sont limités. Les séquences, trop souvent séparées par un fondu au noir sont très souvent exagérément courtes. Et l’interprétation est trop disparate ; si Xavier Saint-Macary et (Isabelle Ho) ont absolument adaptés au récit, Richard Bohringer est mauvais comme un cochon et François Berléand (dans son premier rôle, il est vrai) détonne et dénote.

Maladroit, donc. Mais très attachant. Ce qui est, n’est-ce pas ?, primordial.

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