Merci pour le chocolat

Méfiez-vous des eaux dormantes.

Peut-être parce que j’ai moi-même vécu de belles années de ma vie à Annecy, je me méfie assez de l’atmosphère des lacs, en apparence si paisible, si sereine, si harmonieuse, si bien élevée mais qui, comme leurs flots peut être secouée par des tempêtes assassines. Et cela, même si les traces de leurs fureurs disparaissent presque instantanément pour leur permettre de recouvrer leur élégance. Jeu de massacre, d’Alain JessuaLe parfum d’Yvonne de Patrice Leconte sont, ainsi des films de malaise. Et que dire du glaçant Funny games de Michael Haneke ? Au fait, quand ces lacs sont situés dans l’opulente tranquille Suisse, où rien de grave, jamais, ne semble pouvoir survenir, ce sentiment un peu ambigu s’accentue encore.

Claude Chabrol, qui a toujours tourné sa grogne, quelquefois incisive, souvent excessive, contre la bonne bourgeoisie dont il était issu tourne donc Merci pour le chocolat à Lausanne, au nord de l’helvétique lac Léman, dans un milieu d’intellectuels, d’industriels et d’artistes. À part quelques silhouettes de serviteurs absolument transparents, on ne verra à l’écran que des gens de qualité, instruits, intelligents, subtils, bien élevés. Mais dont la vie comporte de lourds secrets, voire de sales manigances.

Tout le monde se ment un peu ou beaucoup ou en tout cas dissimule, dans Merci pour le chocolat. De façon bénigne et – si je puis dire – tout à fait naturelle pour la jeune virtuose Jeanne Pollet (Anna Mouglalis) qui couche avec son petit ami Axel (Mathieu Simonet) en racontant à sa mère qu’elle va au cinéma (quelle jeune fille n’a pas fait ça ?). Ou très feutrée avec l’onctueux Dufreigne (Michel Robin, étonnant de papelardise) qui n’est pas un type bien loyal, quoiqu’il en dise. De manière plus grave pour sa mère, Louise (Brigitte Catillon) qui a caché à Jeanne pendant des années qu’elle n’était pas la fille de son mari, stérile. Et plus distante pour le grand pianiste André Polonski (Jacques Dutronc), qui parvient à peine à masquer le mépris qu’il ressent pour son fils, l’empoté Guillaume (Rodolphe Pauly) et, finalement, son indifférence à tout ce qui n’est pas son art.

Mais de façon infiniment plus perverse pour Mika (Isabelle Huppert), qui se dit, avec presque de la naïveté, qu’elle est avant tout douée pour faire le mal, qu’elle a le chic pour ça. Un peu affectée, mais trop douce, trop parfaite, trop équilibrée, trop idéalement installée dans une vie paisible dans un pays paisible. Mais avec une sorte de noirceur paisible aussi, dans une atmosphère étrange où rien ne semble pouvoir se passer.

J’ai le sentiment que Claude Chabrol a volontairement filmé de façon un peu décalée cette histoire sophistiquée et vénéneuse. Il n’y a pas un mot de trop, pas un geste d’exaspération, pas un cri de rage : tout semble couler avec lenteur, douceur, morbidité. C’est le meilleur du film et les invraisemblances du scénario ne gâchent pas la tranquillité de l’eau morte.

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