Mes amis, mes amours

Puits sans fond.

On n’a pas forcément envie après plusieurs semaines où, sur toutes les chaînes, les images des ronds-points campagnards occupés par les gilets jaunes ont occupé le maigre espace disponible d’un cerveau vieillissant et où, en début de soirée, les propos du Président de la République ont absorbé le mince filament de capacité intellectuelle qui demeurait, on n’a pas d’autre envie, donc, que de se laisser aller à une sorte de léthargie plon-plon, avant d’aller mettre la viande dans le torchon, comme le dit avec grâce Marcelle Groseille (Christine Pignet) dans La vie est un long fleuve tranquille. On zappe le long de la théorie des chaînes minuscules, on aperçoit le nom de Vincent Lindon,celui de la jolie Virginie Ledoyen. On bâille et on regarde.

Et on a tort, évidemment tort. Le film terminé, on regarde un peu de qui et cette daube. On s’aperçoit qu’il a été tourné par une certaine Lorraine Lévy, plus tard auteur d’une immondice, le remake grotesque de Knock où l’hurluberlu Omar Sy tentait de mettre ses pas dans ceux de Louis Jouvet (comment penser qu’un gugusse à la mode ait pu oser pareille profanation ? ). En fouillant un peu, on apprend que la dame a adapté un roman de son frangin, qui s’appelle Marc Lévy et qui, à l’instar d’un nommé Guillaume Musso est un de ces écrivailleurs qui vendent des millions d’exemplaires de leurs petites crottes à des braves gens persuadés qu’ils lisent de la bonne littérature. On est moins surpris de s’être effaré devant la bêtise du film, mais on ne s’en veut que davantage de n’avoir pas fait attention : après tout, si les crottes de chiens constellent les trottoirs, on doit être encore beaucoup plus vigilant qu’on ne l’est à les éviter, en louvoyant sur le macadam.

Ce n’est pas que le scénario soit plus infâme qu’un autre : il ressemble à tous ceux de tous les téléfilms consensuels, d’histoires mâchouillées qui se terminent bien, après que les personnages ont connu, à quelques points bien situés du récit, une grosse déception, une grosse crise, un petit drame intime. Ça s’appuie sur l’affligeante réalité du monde d’aujourd’hui : des familles décomposées, des êtres qui ne savent pas très bien qui ils sont, encore moins où ils vont, qui essayent désespèrent de refaire leur vie, mettant la même absurde naïveté à se jeter dans les mêmes chausse-trapes que celles dont ils viennent à peine de se sortir difficilement.

Donc, deux amis proches, l’un et l’autre divorcés et nanti chacun d’un enfant, l’un, Antoine (Pascal Elbé), architecte, l’autre, Mathias (Vincent Lindon), libraire, décident de s’installer en cohabitation à Londres, où stagne – avant Brexit – une large colonie française qui se retrouve dans le bistro dirigé par Yvonne (Bernadette Lafont), devenue un peu la mère, la confidente, la conseillère de tous les exilés et où glandouille notamment Sophie (Florence Foresti), amoureuse silencieuse d’Antoine. Audrey (Virginie Ledoyen) jeune réalisatrice qui fait un reportage sur l’établissement français où sont scolarisés les enfants des deux amis, devient la maîtresse de Mathias.

Vous enfournez ça dans une centrifugeuse et vous mettez en route. À la fin de l’agitation, vous récupérez ce qui en sort et qui se porte plutôt mieux qu’avant, à l’exception de la pauvre Yvonne/Lafont, qui a fait une crise cardiaque (c’est constant, dans ce genre de bluettes : un personnage sympathique – mais annexe – DOIT disparaître pour donner la petite goutte d’amertume sans laquelle le Piccon-bière ne trouvera pas l’équilibre souhaité).

Les dialogues du film sont d’un ridicule gluant, les acteurs, dont aucun n’est – en soi – mauvais, courent dans tous les sens à la recherche d’une bribe d’ébauche d’esquisse d’intérêt. On est dans la vacuité pure. Au lieu de ce rendez-vous avec la sottise, j’aurais mieux fait de revoir l’admirable Rendez-vous avec la peur de Jacques Tourneur qui m’aurait meublé le crâne au lieu de me décérébrer.

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