Paris brûle-t-il ?

Quel souffle !

J’ai le sentiment que la plus grande partie de ceux qui ont évoqué ce film a été un peu submergée par l’ambition invraisemblable du film de René Clément, qui vient enfin de sortir dans une superbe édition restaurée, avec un deuxième disque de 3 heures de suppléments. Comme je l’avais raté à sa sortie, je l’ai découvert avec infiniment d’intérêt et, revenant sur la suite des messages déposés au fil des ans ici, j’ajoute ma pierre.

On a exprimé avec la plus grande précision ce qui me paraît ressortir de Paris brûle-t-il ? quelqu’un a écrit : Quand on imagine l’infrastructure qu’il a fallu pour vider Paris, pour organiser les allers venues de toutes ces stars, pour gérer tous ces egos surdimensionnées (Douglas, Delon, Welles n’étant pas des moindres !), pour donner une cohérence à cette surabondance scénaristique… Paris brûle-t-il ? ne sera jamais un chef-d’œuvre, mais on se dit que Clément a tout de même eu du mérite… C’est moi qui ai souligné surabondance scénaristique

Et, de fait, comment s’emparer autrement de l’énorme pavé de Dominique Lapierre et Larry Collins, qui furent spécialistes de ces grandes fresques historiques unanimistes (Ô Jérusalem, porté à l’écran par Élie Chouraqui sur la naissance de l’État d’Israël, ou Cette nuit la liberté sur l’indépendance de l’Inde).

Comment retracer l’histoire des quelques jours qui précédèrent le soulèvement de Paris et son déroulement en croisant et entrecroisant la grande histoire, les décisions des mandataires de Londres (Alexandre Parodi – Pierre Dux – Jacques Chaban-Delmas – Alain Delon – Edgar Pisani – Michel Piccoli -), des résistants communistes (Henri Rol-Tanguy – Bruno Cremer – le colonel Fabien), des généraux alliés ou allemands, et des anecdotes qui donnent chair à ce qui n’aurait été, sinon, qu’un documentaire pédagogique sûrement passionnant, mais moins susceptible d’intéresser des millions de spectateurs ? Le rapprochement avec Le jour le plus long s’impose évidemment et même si je n’ai pas revu depuis bien longtemps le film de Darryl F. Zanuck, j’ai l’impression qu’il était bien plus brouillon et emberlificoté que celui de Clément.

Donc, c’est bien l’histoire romancée, mais véridique (autant qu’on puisse, en s’appuyant sur des milliers de pages lues et des centaines de témoignages recueillis, comme le faisaient Lapierre et Collins retracer la réalité), c’est bien l’histoire de la libération de Paris qui est le sujet du film et non pas l’un ou l’autre des cent, des mille aspects de la période 40/44. Dès lors il est un peu vain d’essayer de dresser un palmarès des réussites, ou des échecs, des films relatant tel ou tel moment ou sujet en les comparant à Paris brûle-t-il ?.

Des centaines de films ont été réalisés, aux lendemains de la guerre ou depuis lors, et apportent un éclairage à tel ou tel aspect de ces années d’histoire. On en a cité supra un bon nombre, de très grands comme L’armée des ombres, ou La bataille du rail, qui montrent deux aspects de la Résistance ; La traversée de Paris montre le quotidien avec ce qu’il peut avoir de sordide ; on a dit un mot de Lacombe Lucien qui, comme Le vieux fusil évoque la débâcle allemande ; mais on pourrait trouver des dizaines de sujets formidables évoqués ici et là, la panique folle de l’effondrement de la IIIème République (Bon voyage, de Jean-Paul Rappeneau), l’exode (Jeux interdits de René Clément encore), les zones grises pleines de trafics et d’impostures (Un héros très discret, de Jacques Audiard), les prises d’otages (Jéricho, d’Henri Calef), et la liste est ouverte…

Malgré sa longueur et sa dépersonnalisation (on lâche trop vite les personnages, à part, et c’est heureux, Von Choltitz, remarquablement interprété par Gert Froebe), Paris brûle-t-il ? m’a semblé une belle leçon d’histoire, un peu figée, mais exaltante et pleine de joie. La liesse des Parisiens, leur bonheur d’être enfin libérés sont montrés avec beaucoup de foi dans notre pays. Il n’y a vraiment pas de raison de regarder ce grand bonheur avec des yeux étroits.

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Un mot pour dire du bien des passionnants et longs (3 heures) suppléments de cette excellente édition DVD.

Certes, il ne faut pas s’attendre à voir beaucoup d’images du tournage, ni à voir décortiquer des plans et des séquences. On pourra même juger que c’est trop statique, et que ça se  »borne » à des entretiens avec des intervenants, sans autre apport que leurs voix et leurs témoignages. Mais quand ces témoignages sont nourris d’autant de richesses, d’anecdotes de tournage, de points de vue éclairants, ils apportent à la vision du film de très grands compléments.

Dans l’ordre, conversation avec Claude Rich qui, notamment, explique pourquoi, ne devant jouer que le rôle du lieutenant de La Fouchardière, l’homme du monde qui délivre le jardin du Luxembourg, il se voit affecté, en sus, par une suite de hasards, à la représentation du général Leclerc, avec qui, de fait, la ressemblance est frappante.

Puis longue interview de Michel Wyn qui fut un des assistants de René Clément et qui, avec beaucoup de brio, conte à la fois l’histoire du film, la mise en route du projet, les difficultés de sa réalisation, les trouvailles de la distribution, le contexte politico-historique du tournage et qui, tout en redisant son admiration pour l’auteur du film, n’omet pas d’en souligner la brutalité, l’orgueil, le caractère désagréable. Cet entretien est une véritable mine d’or, et Wyn a le remarquable talent de synthétiser plusieurs aperçus passionnants sur un film dont le tournage fut une épopée à lui tout seul.

Ensuite, intervention de Dominique Lapierre qui, curieusement ne s’exprime qu’au téléphone (était-il à l’étranger au moment de la réalisation du DVD ?) et qui décrit à la fois la rédaction du livre dont est tiré le film, la méticulosité de la documentation – certifiant que toutes les histoires individuelles dont est tissé Paris brûle-t-il ? sont authentiques et revenant sur le travail de bénédictin qu’il a accompli avec Larry Collins – mais aussi sur la qualité de l’adaptation de son lourd pavé par Gore Vidal et Francis Ford Coppola.

La mise en perspective historique est faite par Vladimir Trouplin, dans le cadre prestigieux et émouvant du musée de l’Ordre de la Libération dont il est conservateur. Au travers de dix modules précis, Trouplin confirme la grande exactitude des faits rapportés et des réactions enregistrées. Rôles de von Choltitz, de Nordling, de la 2ème DB, du Conseil national de la Résistance… Plein d’aperçus très clairs.

Enfin, les propos de Denitza Bantcheva, spécialiste de l’œuvre de René Clément peuvent paraître un peu redondants, mais ont le mérite de resituer le film dans la filmographie d’un grand cinéaste que je trouve personnellement un peu malaimé…

En tout cas, j’ai rarement regardé avec autant d’intérêt un DVD de suppléments aussi long que celui du film dont ils traitent !

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