Le déjeuner sur l’herbe

Lunaire et bêtifiant.

Comment est-il possible que j’aie pu, lors de mes premières visions du Déjeuner sur l’herbe avoir tant d’indulgence souriante pour cette ridicule pantalonnade à peine sauvée par quelques images réussies d’arbres séculaires et d’herbages ondoyants ? Ce film qui se veut une fable sceptique, aimable et édifiante, une sorte d’hymne à la vie naturelle opposée au progrès technique est tellement bêta, tellement niais, tellement prétentieux, dans sa fausse simplicité qu’on peine à reconnaître qu’il a été réalisé par le même cinéaste que celui qui fit Le crime de Monsieur Lange et La grande illusion.

Je n’ai pas pour Jean Renoir l’estime démesurée que beaucoup lui portent, lui préférant – d’assez loin ! – les plus noirs et sarcastiques Duvivier, Autant-Lara ou Clouzot ; mais les deux films cités plus haut, l’enchantement de French cancan, quelques belles séquences de La règle du jeu, quelques grincements du Caporal épinglé le placent tout de même haut dans mon panthéon personnel. Et, en fait, ce que je préfère de lui, c’est sans doute l’absolue réussite d’Une partie de campagne, tissée d’une grâce triste comme tout.

Mais Le déjeuner sur l’herbe ! Qu’est-ce que c’est que ce trémoussement burlesque, ce conte à prétention philosophique, cette volonté de cocasserie qui tomberaient continuellement à plat si des numéros d’acteurs ne venaient soutenir tant bien que mal l’édifice ?

Sans doute, Paul Meurisse est lunaire et élégant, et dresse par ses attitudes et ses jeux d’allure le personnage du Monocle noir qu’il incarnera quelque temps plus tard ; oui, Fernand Sardou est, comme souvent, d’un naturel parfait ; oui, Charles Blavette possède ce grain d’un mystère qui ne rend pas totalement invraisemblable son personnage de chevrier sorcier ; et, si l’on veut, Catherine Rouvel offre une sensualité instinctive et païenne qui s’accorde bien avec les lumineux paysages dans quoi elle s’ébat.

Mais ça ne suffit pas, et ça n’embraye jamais vraiment ; le monde naturel opposé au monde artificiel, Apollon opposé à Prométhée, la grande revanche Panique (au sens de Jean Giono : le dieu primal de la nature, le grand Pan), c’est un thème intéressant, mais extrêmement casse-gueule et Jean-Jacques Annaud s’est ramassé une des gamelles les plus mémorables du cinéma de tous les temps, lorsqu’il a réalisé ·Sa majesté Minor qui prétendait représenter un monde dispensé des carcans et tabous qui sont la seule source de la Civilisation ;

Jean Renoir, grand bourgeois à l’abri du besoin, physiquement assez lâche (voir à ce propos ce qu’en dit Jeanson) a sans doute dit tout ce qu’il avait à dire en quelques films. Le reste, comme la peinture de son papa, si appréciée des fabricants de chocolats médiocres qui parent de la reproduction de ses tableaux les boîtes et ballotins que les braves gens offrent à Noël, est tout de même un peu du procédé, pour ne pas dire de l’esbroufe.

 

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