Passe ton bac d’abord !

passetonbac_referenceLa vie, c’est mal foutu.

Ah, il est rude le cinéma de Maurice Pialat, il est rugueux, amer, aigri même quelquefois. C’est sans doute pour ça qu’on n’y succombe pas tout de suite, qu’on a besoin pour l’apprécier de s’y familiariser et de s’y accrocher. Peut-être aussi pour en amadouer la violence. Je dirais presque qu’il faut avoir un peu d’expérience de la vie, avoir rencontré au boulot ou ailleurs des types à la carapace épineuse dont on ne découvre que très progressivement la solidité et la force.

Passe ton bac d’abord, évidemment tourné avec beaucoup de comédiens amateurs, notamment dans les scènes de groupe, pourrait n’être qu’un des multiples films sur le malaise existentiel de la jeunesse, sur l’ennui, sur le chômage, sur la vie bouchée sans horizon, ni perspective, ni espérance, ni véritable désir. Il y a eu (et il y aura, c’est à parier) des multitudes de reportages bruts ou romancés sur ces thèmes, au cinéma ou dans les magazines de reportage de la télévision. On peut d’ailleurs se dire, au début du film, qu’on est un peu dans un des sujets du magazine Strip-tease de Jean Libon et Marco Lamensch : un regard direct et lisse sur un groupe humain.

0000362_gal_004_medMais ce regard s’élargit, se complique, s’entrelace. Il y a quelques premiers plans dont on suit un peu davantage les pérégrinations, Élisabeth (Sabine Haudepin), gamine délurée et pourtant rêveuse, sa mère (Annick Alane), Philippe (Philippe Marlaud, horriblement mort brûlé dans un accident, trois ans plus tard), coq de village, qui veut toutes les filles et en a la plupart… Un peu en arrière plan le bistrotier dragueur (Christian Bouillette) et ici et là des visages, des silhouettes, des attitudes ; rien qui marque vraiment, comme tous les gens qu’on approche, avec qui on rit ou on boit mais qui ne laissent pas la moindre trace dans une vie.

passe-ton-bac-d-abord-79-07-gCar c’est la faculté de filmer vraiment la vie qui fait l’intérêt des films de Pialat : la véracité, l’exactitude dans ce qu’elle peut avoir de moins valorisant mais de plus abouti. Ces garçons et ces filles qui ont 20 ans, un peu plus, un peu moins en 1979, c’est-à-dire il y a près de 40 ans, ont une substance, une réalité éclatantes. Les péripéties, les petites tristesses et les petites joies qui surviennent sont à la fois parfaitement dérisoires et terriblement tristes, banales, atones. Et l’irruption de l’incongruité – les deux types qui voudraient faire de Valérie (Valérie Chassigneux) un modèle photographique sont vite renvoyés à leur monde : on ne fait pas ça chez nous ! et Valérie, d’ailleurs, l’admet très bien ; s’il y a un autre monde, il n’est pas fait pour tout le monde.

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