Quand j’étais chanteur

La fureur de vivre.

Ce ne sont pas vingt minutes seulement qui sont excédentaires, mais trois bons quarts d’heure et on finit par se demander comment Xavier Giannoli va parvenir à terminer le travail et, au demeurant, pourquoi il doit le terminer : on se dit que ça pourrait continuer comme ça pendant des heures et des heures, sans pratiquement aucune progression dramatique ; on se dit que l’on pourrait suivre ainsi les pérégrinations d’Alain Moreau (Gérard Depardieu) et de son ex, qui est aussi son impresario Michèle (Christine Citti) tout au long des animations musicales dans les maisons de retraite, les galas du Rotary et les boîtes de nuit campagnardes sans que ça s’arrête jamais. Et j’ai l’impression, d’ailleurs que Giannoli est bien conscient de l’impasse dans quoi il s’est fourré puisqu’il bâcle sa conclusion dans un petit morceau de guimauve, sans oser tout à fait aller au bout de sa logique qui aurait été la séparation définitive, sans espérance aucune du chanteur et de la délicieuse Marion (Cécile de France) ; Marion rencontrée, espérée, séduite, perdue, retrouvée, gâchée… Mais ne fait pas une comédie à l’italienne qui veut…

Et c’est bien dommage car tout le début de Quand j’étais chanteur est un petit bijou d’observation tendre et narquoise à la fois (jamais cruelle en tout cas) sur le monde des marges. Des marges ou plutôt des périphéries au sens où les a décrites le géographe Christophe Guilluy remarquant la coupure de plus en plus nette entre les centres gentrifiés des métropoles, entourés de banlieues peuplées d’immigrants récents et le périurbain profond (deux mondes qui ne votent pas du tout, mais pas du tout vraiment de la même façon).

Je sais bien que Quand j’étais chanteur présente quelques séquences de ce qui fut naguère une capitale régionale, Clermont-Ferrand mais, outre que personne ne niera que ce n’est pas la grande ville la plus glamour de France, la plupart des péripéties du film, celles où Moreau/Depardieu fait tourner son petit orchestre de samedi soir se passe aux alentours, Riom, Ambert ou Royat…

C’est la France où les messieurs portent des chemises vertes, violettes ou rouges et des cravates livides, où les dames chaussent des escarpins pointus et revêtent des robes sagement décolletées pour danser paso-dobles, slows ou madisons ; dames qui font tapisserie en attendant l’improbable cavalier ou dansent entre elles, messieurs qui s’alcoolisent un peu au bar. Là-dessus un orchestre avec des vestes pailletées, une choriste qui a envie d’arriver au vedettariat mais qui se résignera vite à une rassurante médiocrité et à des kilos qui s’ajouteront les uns aux autres avec les années qui passent.

Rien que de normal, rien d’aussi bien vu : lors de certaines séquences, on se croit dans un des numéros de Strip-tease (le magazine qui vous déshabille), le bijou franco-belge de Jean Libon et de Marco Lamensch : un regard entomologique sans jugement sur des modes de vie, des pratiques, des comportements, des émotions qui sont forcément surprenantes puisqu’elles ont autres.

 Plus le film quitte ces rivages pour s’enfoncer dans l’intrigue sentimentale entre Cécile de France (toujours charmante) et Gérard Depardieu (vraiment excellent, comme aux plus beaux jours), avec la présence en deuxième rideau de Mathieu Amalric (qui tournera un peu plus tard Tournée, avec une atmosphère un peu analogue de spectacles miteux), plus Quand j’étais chanteur s’englue dans l’ennui et la répétition.

Mais pour les trois premiers quarts d’heure, pour la voix de Depardieu qui n’aurait pas dû s’attaquer à Barbara, mais qui réussit parfaitement à interpréter Michel Delpech, Daniel Guichard, ou même Julio Iglesias et… Sylvie Vartan, pour la fraîcheur de Cécile de France, ça vaut la peine d’être regardé…

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