Raging bull

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Bande de sauvages !

Il y a quelque temps de cela, m’extasiant sur After hours de Martin Scorsese, mais avouant ma méconnaissance des œuvres du susnommé, je me voyais conseiller de regarder vite Les affranchis (ce que j’ai fait), mais d’éviter Raging bull, puisque, ici et là, j’avais clamé ma détestation de la boxe.

Et il est vrai que j’avais écrit (je me cite sans aucun scrupule) : Le but de cette activité sauvage, je le rappelle, est tout de même d’envoyer un coup tel qu’il met le cerveau en « coupe-circuit », ce qui s’appelle plaisamment un knock-out ; et puis le côté maffioso des managers et organisateurs, le romantisme facile des pauv’gars qui font ça pour être riches et célèbres m’agace énormément ; j’aurais pu, parallèlement, m’étonner que cette sauvagerie ait, jadis et naguère, exalté des esprits délicats (Jean Cocteau, qui frémissait de trouble devant le Panaméen Al Brown) ou suscité toute une kyrielle de films de qualité (Gentleman Jim, Nous avons gagné ce soir, L’air de Paris, et sûrement des tas d’autres) ; c’est que le sang et la brutalité sont éminemment spectaculaires et je gage que les quelques décennies qui vont suivre restaureront un jour les charmants combats de gladiateurs.

Ma bile noire jetée, voilà que je viens écrire sur Raging bull, acquis parce que ça coûtait trois francs, six sous, et que la performance d’acteur de Robert De Niro m’avait été longuement vantée. A très juste titre, d’ailleurs, tant, dans les situations les plus extrêmes et variées, il joue juste et vrai. Immense acteur qui supporte sur ses épaules (et sur son corps dont la corpulence varie de façon sidérante selon les scènes) un film que j’ai tendance à juger un peu long, mais dont l’évidente virtuosité technique est tout de même assez bluffante…

Il n’y a certes que grâce au boxing bussiness qu’un psychotique violent, à la limite inférieure de la débilité mentale, puisse devenir le héros d’un film-culte, être détestable de la première à la dernière image, et pitoyable en même temps ; obsessionnellement jaloux, lourd dans sa boxe (comparée à celle de Ray Sugar Robinson), méfiant, veule, glouton, salace, ce type a tout pour déplaire et le film de Scorsese parvient parfaitement à le faire détester…

Seulement, comment, lorsqu’il ne peut y avoir la moindre parcelle d’empathie entre la brute LaMotta et soi, comment s’emballer pour un film ? Je reconnais bien aisément que les séquences de combats sont époustouflantes et que les coups donnés et reçus choquent réellement (bien plus que les étripages de tous les zombies du cinéma !) ; j’ai trouvé que l’idée de placer la musique romanesque, lumineuse, brillante de l‘Intermezzo de Cavalleria rusticana de Mascagni à la fois sur le très beau générique et sur certaines des séquences les plus violentes (la bagarre entre Joey, le frère de Jake (Joe Pesci) et Salvy (Frank Vincent) dans la boîte de nuit) était remarquable.

Mais je n’ai pas vraiment accroché ; ces choses-là sont rudes et ces fauves lassants…

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À quelqu’un qui a jadis boxé, et défend le Noble Art !

Je ne voudrais pour rien au monde vous agacer, ou vous faire sortir de vos gonds ! Non pas seulement du fait de votre passé (ignoré par moi, en tout cas !) de boxeur amateur et de la rouste vraisemblable que je prendrais si je me mesurais à vous, mais parce que je connais et estime votre bonne foi !

Et pourtant je ne vais pas m’éloigner à petits pas, la mine déconfite, mais prétends revenir sur ce phénomène unique de la société moderne qu’est la boxe…

Je dois dire, tout d’abord, que votre indignation sacrée  »Il faut (pour boxer) quelque chose qui manque cruellement à cette société : Des couilles ! » m’a laissé un peu pantois ! Il faut également de sacrées couilles pour attaquer à main armée une banque, voire pour se faire déchirer, en kamikaze, par une ceinture d’explosifs. Les couilles, c’est extrêmement nécessaire à la moitié de l’Humanité, mais ça ne peut pas tout à fait prétendre à diriger le cerveau, vous en conviendrez ! J’admire énormément le courage physique, mais il n’est pas en soi, garantie de mesure et de civilité.

Puis, vous évoquez la boxe avec l’argumentaire habituel de ceux qui l’apprécient : escrime du poing, sens de l’esquive, souplesse, élégance, agilité ( »Ton jeu de jambes, Coco ! ») : pour les combats amateurs, vous n’avez sans doute pas tort et les combats de ce genre, de durée limitée, très réglementés, dont les combattants sont protégés par des casques qui diminuent les risques, sont plus admissibles ; je dois dire qu’aux Jeux Olympiques, cet été, j’ai même eu un certain plaisir à suivre la boxe déliée d’Alexis Vastine, scandaleusement jugé battu en demi-finale par un arbitre félon et sûrement stipendié !.

Mais, vous le savez bien… le but du boxeur amateur, à de rares exceptions près, c’est de devenir professionnel, pour les sous, et aussi pour l’aura médiatique incomparable. C’est vrai aujourd’hui, ça l’était davantage encore du temps de Raging bull, avec bien davantage de combats et des matches en 15 rounds… Et là, forcément, on se retrouve dans l’arène des fauves.

Je n’ai rien contre les sports violents, et je suis, d’ailleurs un vieil amateur de rugby : mais dans ces sports  »d’hommes », le but de la manœuvre n’est pas de frapper l’adversaire, mais de marquer un essai (les plaquages, l’enchevêtrement des corps sont des moyens, pas des buts) et tout coup porté est sanctionnable. Et il y faut aussi de sacrés couilles, croyez bien  ! J’ai le souvenir intact de Jean Gachassin (1,62 mètre, 65 kilos) plaquant une sorte de monstre, Mike Campbell-Lamerton, qui mesurait près de 2 mètres et pesait largement plus du quintal, lors du France-Écosse de 1961 ! fallait y aller ! Et puis, dans les sports de combat proprement dits, hors la boxe, tout est codifié et retenu ! Regardez du taekwondo ou du karaté : les coups ne sont pas portés, ou sont portés sur des combattants cuirassés : seul compte le geste…

Ce qui m’effare, dans la boxe de Jake LaMotta et de ses contemporains, prédécesseurs et suiveurs, c’est l’espèce de jouissance quasi orgasmique ressentie par le boxeur qui inflige le K.O. ; mais, à dire vrai, il y a pire : la jouissance du public !

Cela dit, je suis bien près à reconnaître que la boxe du temps des Carpentier, des Thill, des Robinson, des Cerdan, des LaMotta dispensait une sorte d’aura légendaire ; aujourd’hui, où l’on a multiplié les catégories de poids (quinze, dont les  »Paille », à moins de 47,6 kg !), et où quatre fédérations concurrentes prétendent régenter les titres, c’est devenu une triste pantalonnade, le royaume du fric pourri.

Pas plus que le football, me direz-vous ? C’est possible ! Mais un beau but marqué, c’est tout de même moins choquant qu’un direct à la pointe du menton, qui entraîne le cerveau dans un mouvement quasi sismique…

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