Royal bonbon

Ruines et rouilles.

Ce qui fut La perle des Antilles et la colonie la plus riche de toutes nos Amériques est, depuis 1804, un État indépendant. C’est aussi un des trois ou quatre pays les plus pauvres du monde. On peut voir là un rapport, surtout si on adjoint à ce très bref résumé le massacre des 10.000 Européens par le haineux Jean-Jacques Dessalines, successeur du Père de la NationToussaint-Louverture. Depuis lors toute l’histoire de la malheureuse île est exactement ce qu’on peut faire de plus monstrueux et aberrant dans la gouvernance des peuples et on ne doit pas compter beaucoup de décennies un peu paisibles dans un territoire simultanément béni et maudit de tous les dieux de la création. Un regard objectif sur sa situation actuelle ne laisse d’ailleurs pas espérer que ça va changer.

Un des potentats les plus absurdes et les plus fous que compta Haïti fut assurément le Roi Christophe, général sanguinaire de l’Empereur Dessalines qui, après l’assassinat de son mentor, en 1806, s’autoproclama Président de la République haïtienne (dans la partie nord du pays) puis, à partir de 1811, roi de son domaine sous le nom d’Henri Ier. À lire ces épisodes on ne peut que songer aux identiques frasques de Jean-Bedel Bokassa (le pote de Valéry Giscard d’Estaing) en Centrafrique. Et donc le roi Henri voulut à toute force se faire construire, dans la jungle caraïbe, un palais qu’on pourrait mettre sur le même rang que le Versailles de Louis XIV ou le Sans-Souci de Frédéric II de Prusse à Postdam. C’est d’ailleurs ce même nom de Sans souci qu’il donna à une gigantesque bâtisse, désormais en ruines, qu’il fit bâtir au sud de la ville de Cap-Haïtien.

Venons-en au film, réalisé par Charles Najman, français, trotskyste et mort. Ce n’est pas mal du tout filmé et quelques séquences sont même fort belles. Ainsi dans les ruelles effritées de Cap-Haïtien, deuxième ville de l’île, au milieu des foules désœuvrées et grouillantes, dans les rues peinturlurées, simplement éclairées à la nuit par des groupes de bougies, de flambeaux, de braseros, avec ici et là, une boutique signalée par un néon violent et opaque. Ainsi sur les quais du port, de grandes carcasses de bateaux éventrées, mangées par la rouille et l’indifférence. Ainsi dans l’efflorescence de la jungle, dans ces immensités tropicales d’un vert si étouffant qu’on craint qu’il vous engloutisse. Et plus encore, sans doute dans les ruines de ce palais du Roi Christophe, inscrit, paraît-il au patrimoine mondial de l’UNESCO (mais, au fait, qu’est-ce qui ne l’est pas aujourd’hui ?) qui présente au milieu de la forêt qui, peu à peu fait monter sa gangrène, des murs presque cyclopéens à demi abattus et des fenêtres qui n’ouvrent que sur le vide…

Venons-en au film, disais-je, ce qui n’est pas si facile que ça, tant c’est hétéroclite. Voilà de quoi il s’agit : un illuminé, une sorte de clochard fastueux et misérable (Dominique Battraville) vagabonde dans les rues sales de Cap-Haïtien, risée de tout le monde mais conservant une certaine forme de dignité propre aux fous qui croient à ce qu’ils vivent. Las des brimades des braves gens normaux, à qui il casse les oreilles en se proclamant constamment le souverain Christophe, il rejoint, accompagné d’un gamin des rues, Timothée (Verlus Delorme) le palais fou de son modèle.

Et, assisté par une sorte de maire du Palais, ou de Grand vizir ou de Premier ministre, Valentin (Ambroise Thomson), il constitue une cour ridicule et touchante de pauvres gens fascinés par son verbe et plein d’espérances. Il y a là le Duc de la Marmelade, la marquise des Anges, le comte de la Limonade et ainsi de suite, tous plus misérables et contrefaits les uns que les autres. Chacun se prend grandement au sérieux et le rituel de la Cour ne souffre pas la moindre entorse à l’étiquette.

Il va de soi que ça ne se termine pas bien. Le spectateur français assiste à ces bizarreries avec sympathie et curiosité mais effarement, aussi. Le DVD est accompagné d’un commentaire audio du réalisateur Charles Najman qui doit expliciter bien des séquences et ouvrir bien des perspectives ; encore faudrait-il qu’après avoir vu le film, on se le repasse une seconde fois, commentaires inclus. Est-ce que ça vaut la peine ? Je n’en suis pas certain.

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