Simone, le voyage du siècle

Pitchi poï.

Il est assez difficile de réussir une hagiographie, un film où une figure admirable est placée au premier plan, célébrée, adulée, contemplée sans beaucoup d’épaisseur critique. Mais il est certain que si, dans les derniers temps du 20ème siècle, une figure s’est imposée comme une sorte de modèle éclatant, c’est bien celle de Simone Veil. Dans la salle de cinéma où ma femme et moi avons vu le film d’Olivier Dahan, tout à l’heure, il y avait, conduites par leurs vigilantes mamans, des petites filles à qui l’on pensait pouvoir montrer et donner comme exemple quelqu’un qui, de toute sa vie, n’avait jamais failli. Et qui, de toute sa longue existence compliquée, n’avait jamais montré qu’ouverture, intelligence, force d’âme, puissance intellectuelle… Bref quelqu’un qui était, d’une certaine façon, la Jeanne d’Arc du siècle denier, une figure stupéfiante et insurpassable.

Pourquoi pas ? Donner en exemple aux jeunes générations Simone Veil, c’est mieux que de leur présenter Winnie Mandela ou Sandrine Rousseau. Ça n’a même rien à voir. L’histoire de la jeune et obstinée Simone Jacob, issue d’une famille juive laïque, profondément intégrée à la France et qui, parmi les vicissitudes du temps, conduit un parcours exemplaire et remarquable dans les ors de la République, sans être jamais dupe de ce parcours est en soi magnifique. Sacrée femme, assurément, sacré (mauvais) caractère, sacrée personnalité. Qui méritait évidemment qu’on tourne autour d’elle cette hagiographie respectueuse. Toute la question restant être que cette légende dorée doit être à la mesure du personnage.

Et c’est là sûrement qu’Olivier Dahan pèche. Il aime tellement son sujet, il veut trop en embrasser les multiples facettes qu’il l’étreint particulièrement mal. Cela malgré les très importants moyens qu’il emploie, la durée qu’il utilise (deux heures vingt), la bonne qualité de l’interprétation. De bonnes qualités mais une multitude de défauts.

Voulant presque tout montrer d’une vie longue, riche, étonnamment variée, parcourue de drames affreux, de succès considérables, haussée au sommet de la renommée et de l’adulation, Dahan livre un film presque bouffi. Il s’efforce de faire entrer dans un trop vaste costume des épisodes dont le caractère peut apparaître composite à la plupart des spectateurs qui ne maîtrisent pas parfaitement l’histoire – et singulièrement l’histoire politique – de trois quarts de siècle.

La solution choisie par le réalisateur pour faire goûter la richesse de son personnage est la multiplication des flashbacks, des allers et retours dans la vie de Simone Veil. Voilà qui devient assez rapidement fatigant et qui sent à plein nez le procédé. Jongler d’ici et là entre la vieille dame qui écrit ses mémoires à la petite fille qui, quatre vingts ans auparavant se baignait dans la même crique de La Ciotat, voilà qui va encore à peu près. Mais ça n’arrête pas et l’on saute en permanence d’une époque et d’une situation à l’autre.

Ce qui a un caractère décontenançant. Je vais faire à ceux qui ont la faiblesse de me lire une confidence ; par deux fois j’ai dîné à une table que présidait Simone Veil, ce qui n’est pas grand chose, des milliers de gens ayant sûrement été dans mon cas ; mais, plus sérieusement, un de mes meilleurs amis est l’attaché parlementaire du ministre, interprété par Antoine Gouy et qui, dans la réalité s’appelle Jean-Paul Davin. Et ma vie professionnelle a tout de même, à certains moments, été très proche de plusieurs des milieux dépeints dans le film. Eh bien à certains instants, pris dans le tohu-bohu d’Olivier Dahan j’avais du mal à me situer. Élections européennes de 1979 et présidente du Parlement ? Certes ; mais échec de 1984 et, pire, bide de la liste dissidente de 1989 (8,43% des voix) ; en parler, parler de la belle carrière dans la magistrature, repasser à la période où la jeune femme suit en Allemagne son mari Antoine (remarquablement interprété par Olivier Gourmet, grand acteur, comme d’habitude), évoquer en présentant l’épée, l’élection à l’Académie française (sans montrer la Coupole). On voit bien qu’il y a trop.

En fait, il me semble qu’il aurait été plus efficace de restreindre l’histoire à deux moments forts. Dahan privilégie l’Occupation et la déportation : il n’a pas tort puisque c’est ce qui est le plus spectaculaire, le plus prenant, le plus dramatique, le plus émouvant ; et les images de la barbarie allemande et du camp de concentration sont épouvantables, comme il se doit. Mais enfin, d’autres ont connu cela, et Dieu merci, comme Simone, d’autres s’en sort sortis. Ne serait-ce que son amie Marceline Rozenberg (Sylvie Testud), qui deviendra, à son retour en France, la cinéaste maoïste Marceline Loridan-Ivens ; car d’avoir subi une tyrannie n’empêche pas d’avoir une attirance pour une tyrannie parallèle.

D’autres, donc, ont connu l’horreur des camps. Pour y résister, on le dit dans le film, il fallait une grande épaisseur de caractère et même une certaine dureté : lutter pour sa cuillère de soupe claire et ses haillons, les défendre contre ses camarades de misère. À ce propos me glace toujours ce dialogue rapporté par le Compagnon de la Libération Pierre de Bénouville,  : « Qu’est-ce qui vous rend triste comme ça ? – C’est compliqué. Vous ne pouvez pas mesurer et encore moins me comprendre. Vous n’avez jamais volé le pain d’un enfant pour survivre. Moi je l’ai fait. Je suis vivant. L’enfant est mort ».

Ce qui a fait surgir Simone Veil sur la scène publique, c’est avant tout son rôle de ministre de la Santé et son discours du 26 novembre 1974 sur la dépénalisation de l’avortement. Le film est assez mauvais là-dessus présentant les adversaires de la loi comme des hurleurs aboyeurs fermés à toute réflexion et présentant peu ou mal les garde-fous posés par le texte pour limiter au maximum le recours à l’IVG. Et notamment les mots du ministre : Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l’avortement. L’avortement restera toujours un drameou bien La loi n’interdit plus, mais ne créé aucun droit à l’avortement. On est loin de ces précautions aujourd’hui…

Je crois qu’il faut que je mette fin à ce trop long message. En regrettant encore qu’un destin aussi exceptionnel ait été si médiocrement tourné. Ah ! J’ai oublié d’écrire qu’Elsa Zylberstein est toujours aussi belle et que le maquilleur du film a réalisé un véritable exploit en la représentant entre ses quarantième et quatre-vingtième année de façon si crédible.

 

 

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