Sortilèges

Terre sans pain.

Voilà un film bien rude pour ceux qui imaginent que la campagne et la vie campagnarde ressemblent à des films de Walt Disney et à l’image idéalisée qu’en donnent les sectes écologistes. La campagne, c’était alors (le film date de 1945) la rudesse exténuante des travaux et la sauvagerie égoïste, avide des habitants. Un monde rude, épuisant, qui brisait les corps et les cœurs. Il faut lire La Terre d’Émile Zola ; le livre a certes été écrit en 1887 mais le monde dépeint par Christian-Jaque en 1945 n’avait pas changé. D’ailleurs, si l’on a besoin de s’en convaincre, il faut voir ou revoir Farrebique de Georges Rouquier qui est de 1946). Avidité, dureté au mal, superstitions, misère sociale et affective.

Ce qu’il y a de meilleur dans Sortilèges, c’est précisément le regard aigu sur la vie paysanne. Ce qu’il y a d’un peu bêta, c’est l’intrigue amoureuse et les égarements des principaux protagonistes. L’intrigue est à peu près aussi invraisemblable que celle d’un autre film, un peu antérieur, du réalisateur : L’assassinat du père Noël qui se déroule aussi – intéressant rapprochement – dans des montagnes enneigées et met en scène des histoires amoureuses contrariées par des tas d’obstacles.

Donc le robuste bûcheron Pierre (Roger Pigaut) est amoureux de Catherine (Renée Faure), fille d’un brave homme un peu timbré, Fabret, dit Le lièvre (Fernand Ledoux) mais il est fiancé à Marthe (Madeleine Robinson), opulente (c’est très relatif) héritière du potentat du hameau, Gros Guillaume (Pierre Labry), aubergiste et propriétaire foncier. Veille là-dessus le singulier Campanier (Lucien Coédel), drôle de type qui fricote avec la sorcellerie et qui est cinglé d’amour pour Catherine.

Tout ça est un peu niais, un peu nigaud même. D’ailleurs, même si le fier garçon Pierre, qu’on aimerait voir droit comme un I, est bien disposé, pour sortir de sa misère, à faire le sacrifice de son amour et à épouser Madeleine, on sait bien que finalement il choisira l’amour que lui offre Catherine. Toutes les péripéties romanesques sont tellement cousues de fil blanc qu’on s’amuserait presque de voir, séquence par séquence, en dérouler le chemin.

Ce qui compte pourtant et ce qui séduit dans Sortilèges, c’est bien la rudesse de la montagne enneigée, ses terres de brouillard, ses arbres glacés, le vent rêche qui souffle, la peine des hommes qui luttent contre la malveillance de la nature. On n’est pas tout à fait – on est même assez loin – de l’ennui, la charge la plus lourde de la condition humaine (selon Jean Giono dans Le désastre de Pavie), mais on en ressent la pesanteur.

Un peu superficiellement, on pourrait dire que Sortilèges est l’histoire d’un meurtre couplée avec des histoires d’amour. Ce qui est bien mieux, c’est la touffeur malodorante de l’auberge, l’impression d’aisselles sales que l’on imagine. Mais aussi – sûrement la meilleure séquence du film – la fête du hameau, le bal et les savantes figures d’une sorte de quadrille gravement, sérieusement dansés par les paysans endimanchés, sous le regard concentré des joueurs de cabrettes.

Il paraît que c’est Jacques Prévert qui a adapté le roman dont le film est tiré et qui en a écrit les dialogues ; ce n’est pas ce qu’il a fait de mieux. Mais ce qu’a tiré Christian-Jaque avec des images magnifiques, surprenantes, maléfiques est une très belle révélation.

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