Suspiria

La maison du diable.

Il est certain que ce n’est pas grâce au scénario, un peu bricolé, plein de trous, d’invraisemblances et de naïvetés, déroulé de surcroît de façon un peu chaotique par Dario Argento qu’on peut apprécier Suspiria. Et cela malgré l’idée intéressante d’une secte d’affidés d’une sorcière grecque, Elena Markos, venue se réfugier à Fribourg et dont le modèle, selon l’auteur qui le dit dans un supplément du DVD, serait Helena Blavatsky, sorte d’obèse occultiste théosophique qui eut une certaine influence sur des esprits illuminés à la fin du 19ème siècle.

L’idée d’une réunion d’adorateurs du Mal est à mes yeux toujours glaçante, quelle que soit la façon dont on la traite (des Vierges de Satan à La Malédiction en passant par Rosemary’s baby) , mais dans Suspiria, elle est à peine effleurée. Et cela même si les images terminales de la réunion des maléfiques suppôts de la sorcière Markos autour de sa seconde, Madame Blanc (Joan Bennett), et de Miss Tanner, la surveillante générale (Alida Valli), guettées par la malheureuse Suzy Banner (Jessica Harper) sont réussies et inquiétantes.

C’est dommage sans doute parce qu’un approfondissement de cet aspect aurait heureusement corrigé le côté Alice au pays des horreurs qu’on a opportunément signalé et qui met sans doute un peu trop l’accent sur la découverte par la gracile naïve Suzy d’un pandémonium effrayant. En d’autres termes, j’aurais aimé que la perspective fût un peu plus braquée sur la camarilla des méchants et un peu moins sur l’effroi des gentilles.

Malgré ces insuffisances, Suspiria est un film absolument fascinant, qui demeure durablement en mémoire par l’extrême originalité de ses images et l’obsédante présence d’une harmonisation musicale démoniaque. On a beaucoup évoqué les images brutalement, savamment colorées qui s’entrechoquent dans des compositions violentes de bleu, de vert, de rouge et qui donnent à beaucoup de séquences un volontaire caractère de cauchemar éveillé. C’est tout à fait remarquable, mais tellement systématique que, finalement, ça ne surprend plus guère ; on s’habitue à ce chatoiement qui drape les pièces de la maison infernale dans un kaléidoscope morbide.

En revanche on ne peut pas s’habituer si facilement que ça aux architectures compliquées de la demeure, à ses décors oppressants, à ses passages mystérieux. Argento dit qu’il a été impressionné à ce sujet par les dessins et les perspectives impossibles de M.C. Escher, ses espaces paradoxaux, ses boucles infinies. De fait, l’impression de malaise est immédiate et conduit, d’une certaine façon, dans un univers parallèle où le spectateur ne peut que perdre ses repères, comme les perdent les élèves de l’Académie de danse où Suzie est devenue pensionnaire pour son plus grand malheur. Et davantage encore que la topographie irréelle des lieux, ce sont les parements de mur, les objets, les structures décoratives qui suscitent l’angoisse. La répétitivité obsédante des motifs du papier peint de la chambre de l’amie qui recueille Suzy, les vénéneux ornements Art nouveau de l’Académie, le long panoramique du bureau de Madame Blanc, tout cela engendre une atmosphère parfaitement malsaine, accrue encore par les angles viciés des prises de vues.

Superbe choix, au demeurant, d’aller choisir, pour abriter le repère des sorcières la Maison de la baleine, à Fribourg , chef-d’œuvre du gothique flamboyant tardif qui abrita, paraît-il, Érasme en fuite. Je ne suis pas parvenu à savoir si l’intérieur de la demeure, tel qu’il est présenté dans le film, est réel ou si, comme il est plus vraisemblable une création imaginaire en studio. N’empêche que ça donne au film une grande allure et que les scènes horribles qui s’y déroulent y sont plus oniriques que monstrueuses (au fait, quelle drôle d’idée, pour représenter le sang qui coule des victimes, d’avoir choisi un vermillon très Ripolin alors que ne manquent pas, sur le marché, d’excellents substituts de sang vermeil)

Il faut regarder Suspiria comme une drôle de rêverie irréelle et angoissante, dans des décors d’une beauté angoissante. On se serait passé de quelques balourdises, comme la représentation pustuleuse, granuleuse et verdâtre de la vieille sorcière lorsque Suzy, la poignardant, anéantit à jamais la maison du Diable. Mais l’inventivité visuelle est constante et ample…

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