Talons aiguilles

La leçon d’anatomie.

Chaque fois que je regarde un film de Pedro Almodovar, je me dis que ce n’est pas mal, que les actrices sont bien photographiées, qu’elle baignent dans des océans de couleurs bien disposées, qu’il y a du rythme, de la fantaisie. Et j’étais à deux doigts d’écrire avec bienveillance de l’originalité. Mais parallèlement, dans mon cortex profond (ce qu’il en demeure, en tout cas), il y a un diablotin narquois qui me susurre : Tu ne penses pas plutôt que c’est toujours le même film, ressassé jusqu’à plus soif ? Et c’est bien sûr ce diablotin qui a de la mémoire et qui a parfaitement raison.

Je ne suis pas très connaisseur, à dire vrai, de l’œuvre d’Almodovar. J’ai vu Attache moi (il y a bien longtemps), Parle avec elleVolver ; et donc désormais Talons aiguilles. C’est évidemment trop peu pour énoncer une opinion trop générale et caractériser un cinéma qui s’étend désormais sur quatre décennies au rythme d’un film tous les deux ou trois ans. N’empêche que, à chaque fois, je tombe sur des obsessions un peu glauques qui finissent par agacer. Les obsessions, d’une façon générale, sont des chaînes et des boulets pour ceux qui les éprouvent ; elles peuvent être, par ailleurs, un éclairage surprenant, intéressant, original pour ceux à qui elles sont présentées, mais à condition qu’elles ne surgissent pas dans un film avec une régularité d’horloge.

Je sais bien qu’il existe des prostituées, des travestis, des transsexuels, des drogués. Je sais bien qu’il existe de redoutables secrets de famille mais aussi des relations singulières entre couples, entre mères et filles, entre amants et maîtresses ; je sais bien que la marginalité passe pour plus fascinante que la banalité (que j’ai tendance à appeler la normalité) et que le mélodrame a toujours son petit succès ; et je sais bien enfin que glisser une histoire policière (avec une petite touche d’énigme à résoudre) dans un scénario est de bonne politique et permet de moins creuser la psychologie des personnages. Je sais tout ça et un film réalisé sur de telles bases ne me déplaît pas, mais me lasse un peu. En tout cas ne m’étonne plus. Et l’étonnement, au cinéma, c’est ce qu’on peut espérer de plus merveilleux.

Talons aiguilles commence mieux qu’il ne finit. Le réalisateur insiste pourtant avec beaucoup de lourdeur sur les traumatismes de la petite Rebecca confrontée déjà toute enfant à la flamboyance, à la mégalomanie et – surtout – à l’égoïsme forcené de sa mère, Becky (Marisa Paredes), vedette de la chanson, grande consommatrice de mâles. Mais en voyant la star revenir du Mexique après quinze ans de séparation et découvrant que la chrysalide qu’elle remarquait à peine est devenue un charmant papillon (Victoria Abril), on espère une histoire – qu’on devine banale, mais qui peut être réussie – de retrouvailles entre la mère insouciante mais plutôt sentimentale et la fille coincée, écrasée par la personnalité de sa génitrice et passionnément désireuse d’être seulement remarquée par elle.

Premières complications : Manuel (Féodor Atkine) le mari de Rebecca, qui pense à divorcer, est un des anciens amants de Becky ; et lors d’une sortie dans une boîte de travestis, Letal (Miguel Bosè) qui imite Becky/Paredes et qu’on imagine davantage apprécier les hommes, saute Rebecca/Abril qui est venue le voir dans sa loge… Il n’y a plus qu’à retrouver le cadavre de Manuel/Atkine pour que le film parte dans tous les sens. La suite du récit se place dans la directe trajectoire des mélodrames les plus imaginatifs et les plus extravagants qui se puissent. Ceci n’est pas forcément un reproche et on voit encore plus invraisemblable avec Fantômas ; mais c’est le mixage entre les aspects psychologiques et les abracadabrantes métamorphoses de de Letal/Bosè  qui est, en fait (!) le juge d’instruction Eduardo Dominguez et a été Hugo, un indicateur junkie, amant de Paula (Cristina Marcos), assistante sociale de la prison où Rebecca, soupçonnée de l’assassinat de son mari, va passer quelque temps.

Au demeurant, la meilleure – mais trop brève – scène du film me semble être cette sorte de parenthèse dans la cour de la prison, où les détenues se mettent à danser, sous la conduite impérieuse d’une immense belle fille, Susana (Bibiana Fernandez), qui s’est fait volontairement incarcérer pour retrouver son amante droguée. Manque de discernement de ma part : Bibiana Fernandez, transsexuelle, est né sous le prénom de Manuel…

Almodovar ne pouvait pas rater ça !

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