Tatie Danielle

La vieille dame indigne.

Une vieille dame, une veuve, qui a un petit magot dû à un héritage, qui a des enfants qui guignent un peu le modeste héritage, découvre que la vie peut être grisante, achète une voiture et part à l’aventure en compagnie d’une serveuse de bar, bien plus jeune qu’elle et de mœurs très libres. Ça se passe à Marseille et dans ses alentours. Mais ça n’est pas du tout l’histoire de Tatie Danielle ! allez-vous vous récrier, Vous avez dû abuser de substances interdites ou bien, pire encore, vous êtes complètement gâteux !. Je ne dis pas le contraire sur la dernière partie de l’affirmation, mais ce n’est pas ça.

D’abord vous conviendrez qu’il s’agit bien de l’histoire d’une vieille dame qui finit par s’éclater en claquant ses sous et en vivant à l’aventure avec une femme bien plus jeune. Et qu’il y a bien aussi une histoire de voiture qui permet d’aller de ci, de là. Mais surtout, c’est ainsi que je vous attendais, le récit qui inaugure mon propos, c’est celui du magnifique film de René Allio qui s’intitule La vieille dame indigne qui voit Berthe Bertini (Sylvie) partir sur les routes avec Rosalie (Malka Ribowska) de la même façon que Danielle Billard (Tsilla Chelton) se grise de liberté en compagnie de Sandrine (Isabelle Nanty). Et ce qui rapproche évidemment les deux films, même très au delà de ces anecdotiques péripéties, c’est la maîtrise, l’intelligence et le talent des deux merveilleuses interprètes autour de qui les films se développent.

Pour Sylvie comme pour Tsilla Chelton, l’une et l’autre immenses comédiennes, les deux films ont été les seuls tournés au premier plan et ne pouvant exister que par elles. Quel bonheur, au demeurant, pour un réalisateur, de pouvoir disposer, pour des rôles aussi particuliers, aussi typés de si grandes dames !

Je me suis souvent étonné que le publicitaire inspiré Étienne Chatiliez ait d’emblée réalisé deux films extraordinairement séduisants et intelligents, La vie est un long fleuve tranquille et Tatie Danielle, le quart réussi d’un troisième (Le bonheur est dans le pré), puis ait sombré dans l’absolue nullité de Tanguy, La confiance règne et – abomination de la désolation ! – d’Agathe Cléry. On dirait que, comme dans La peau de chagrin, le talent et l’inventivité se rétrécissent à chaque occasion. N’empêche que pour Tatie Danielle la verve et l’inventivité étaient encore bien présentes.

Les vieux – comme les enfants, à qui ils ressemblent d’ailleurs, mâchoires sans dents et port de couches – sont réputés être doux, sages, bons et gentils. Chatiliez brise le tabou : il y a de sales vieux, des vieux méchants – et qui étaient méchants alors que leur état-civil était encore jeune – des vieux cruels, des vieux insupportables. On n’ose pas trop le dire, parce qu’on est gêné, toujours, de tirer sur les ambulances (et pourtant !!! tout dépend de qui est dedans !) et que nous vivons dans un monde nigaud mais intuitivement, nous savons bien qu’il y a des tas de mauvais vieux (je le sais bien : j’en suis). Et peut-être encore davantage de méchantes vieilles, qui savent distiller des saletés, frapper là où ça fait mal, préparer avec une sorte de volupté odieuse des vacheries inimaginables.

Tomber, comme le fait la vieille odieuse sur un couple nigaud, niais, gentil, aveugle, Catherine (Catherine Jacob) et Jean-Pierre (Éric Prat), profondément équilibré, amoureux, bon comme le pain, c’est, précisément du pain bénit ! Danielle a ce talent merveilleux de se rendre odieuse et, en même temps, de fasciner son entourage. Et comme ce sont toujours ceux qui osent qui prennent le pas sur les nigauds, ça marche au maximum. Cette méchante femme, à peu près inculte, qui lit Barbara Cartland et essuie ses lèvres parcimonieusement, en torchant ses commissures, fascine, et au delà, ceux qui l’approchent.

D es vacheries délicieuses : la meilleure, peut-être à la fin : à Mme Mauprivet (Madeleine Cheminat) une voisine de la maison de retraite et qui est émerveillée par sa cruauté, et qui lui dit Elle est gentille, ma fille (qui a apporté un colis), Danielle répond Oui… mais comme elle est laide !. On y est. C’est l’extase.

Méfiez-vous des têtes blanches !

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