Topaze

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Et ça grouille de canailles !

Sur l’idée brillante du consciencieux et honnête professeur d’institution privée, jeté à la rue par la malfaisance de ceux qui l’exploitent, repêché et utilisé par des aigrefins, il n’y a rien à dire, c’est vraiment de la belle ouvrage, écrite dans une langue magnifique, avec un sens et un goût des dialogues qui sont la marque du grand Pagnol. Mais lorsque le pauvre Topaze se résigne à sa malhonnêteté, puis lorsque, se rebiffant, il prend la main et, de dupe devient lui-même escroc, il y a là un retournement de situation qui sent à plein nez son théâtre et, pis, son boulevard.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, puisque si le Topaze sur le fil de qui nous sommes date de 1951, il est la troisième adaptation (ou quatrième : je m’y perds) d’une des premières comédies et du premier succès de Pagnol et que, sans être vraiment du théâtre filmé, il présente encore les ressorts visibles de la scène.

Il est assez singulier de constater que Pagnol, qui situe Topaze à Paris n’a plus, ensuite, à tout le moins dans ses œuvres majeures, quitté le Midi provençal, un Midi fantasmé, qui atteint, dans la force de l’enracinement qu’il porte, les dimensions de l’Universel…

Tel  est  le film, d’une effronterie absolument délicieuse et d’une grande violence : il n’y a pas là beaucoup d’honnêtes gens, à part peut-être l’ami Tamise (Pierre Larquey), professeur besogneux ; et encore n’est-il apparemment honnête que par défaut…

FernandelMais les autres, tous les autres, quelles canailles ! Il y a dans les dialogues de Régis Castel-Vernac (excellent Jacques Morel) et de sa maîtresse Suzy Courtois (Hélène Perdrière) des monuments de cynisme ; que dire alors de la veulerie de M. Muche (grandiose, exceptionnel Marcel Vallée), brutal, mesquin, avare, vaniteux, capable de toutes les bassesses, obséquieux, prêt à prostituer sa fille… et celle-ci, Ernestine (Jacqueline Pagnol, qu’on aime assez voir ici dans un rôle aussi négatif), toute prête à se vendre… D’ailleurs, l’idée du film est claire : chacun est achetable, tout est une question de prix (ce qui n’est sans doute pas absolument faux).

Fernandel, pour sa dernière (je crois bien) collaboration avec Pagnol est excellent (sauf dans la dernière partie où il fait un peu trop Le couturier de ces dames), démontrant une fois de plus, s’il en était besoin, que, bien dirigé (par Pagnol, donc, mais aussi par Autant-Lara ou Duvivier), il pouvait être un immense acteur, et non pas le gugusse ou le tourlourou bégayant qu’il a trop souvent joué…

Une remarque un peu extérieure : revoyant le film, j’ai été a posteriori frappé de la prégnance dans l’imaginaire collectif du cinéma français, de ces institutions privées crasseuses, et même noirâtres : on peut remonter jusqu’au Zéro de conduite de Jean Vigo (1933), mais aussi évoquer Les disparus de Saint-Agil (1938), La cage aux rossignols (1945), Les anciens de Saint-Loup (1951), et naturellement, Les Diaboliques (1955) : quelle belle collection ! Et ça fonctionne encore, puisque Les choristes a remis la chose au goût du jour !

Excellente édition, comme de coutume, de la Compagnie méditerranéenne de films, un peu dépourvue de suppléments, toutefois… Et puis, quel dommage de n’avoir pas conçu un coffret où la version de 1951 aurait voisiné avec celle de 1933 (avec Louis Jouvet) et – pourquoi pas ? – avec celle de 1936, réalisée par Pagnol lui-même, avec Arnaudy ?

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