Truands

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Les horreurs de la pègre

Autant en être bien conscient : les âmes sensibles et les regards frais doivent absolument s’abstenir d’aller voir ce film, dont certaines scènes sont vraiment difficilement soutenables ; si, pour Apocalypto, certains critiques baveusement anti-Gibson ont dénoncé la cruauté et le goût du sang du réalisateur, l’éloignement historique et géographique du film, sans en atténuer le caractère, le rendait d’une certaine façon plus supportable. Mais Truands se passe à Paris, aujourd’hui, et ne met pas en scène des rites barbares, sinon primitifs, mais des horreurs (il est vrai tout autant barbares) dont nous percevons bien tous la réalité quotidienne.

Lorsque je lis (dans Le Figaro), l’interviouve d’un grand patron de police, adjoint au chef de la Brigade de répression du banditisme (un mec qui s’y connaît, donc) que l’immense majorité des ressorts et des comportements mis en scène s’appuie sur des réalités, je me dis que Frédéric Schoendoerffer a bien raison de ne pas nous laisser vivre dans le souvenir des glorieux mythes des gangsters hommes d’honneur, ceux de Becker ou de Melville, moins encore des parodies plaisantes à la Lautner.

Ces gens-là sont des bêtes fauves, sans mesure et sans freins, sans loyauté, ni amitiés, dopées à la cocaïne, aux putes de luxe, et aux valises de billets. On avancera que ça va sans dire ! Je crois que ça va beaucoup mieux en le disant, et mieux encore en le montrant. La terreur que l’on inspire – et qu’il faut bien entretenir de temps en temps par de la pure sauvagerie – est l’exclusif ressort de la puissance, et les alliances se défont, les complicités se retournent dès qu’on baisse un tant soit peu la garde ou que l’évolution des temps fait qu’on apparaît usé.

L’histoire de Truands – l’ascension d’un jeune loup au détriment d’un caïd plus âgé qui l’a pris en affection et qu’il trahira sans aucune hésitation – est des plus classiques ; on pourrait presque dire que le réalisateur a tourné une sorte de documentaire sur un milieu pourri jusqu’à l’os, où les femmes sont presque aussi immondes que les hommes, où le sang et la torture n’ont aucune importance.

Philippe Caubère, étonnant, joue le rôle du caïd mûr, Benoit Magimel, glacé et glaçant, celui du jeune malfrat : superbes acteurs qui endossent des images détestables avec un talent fou ; Olivier Marchal est un efficace second rôle (d’ailleurs le choix des physionomies est remarquable et l’on perçoit dans les regards de toute cette tourbe humaine le grain de folie sadique, cariée et camée nécessaire). Une mention spéciale à Béatrice Dalle, maîtresse du caïd, idéalement choisie.

Difficilement soutenable, mais remarquable.

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