Un air de famille

Les verts pâturages.

Dans le concert de louanges (tellement justifié) qui conduit, depuis deux jours, toutes les chaînes de télévision à programmer les films de Jean-Pierre Bacri, j’ai été un peu déçu par la revoyure de cet Air de famille. Je m’empresse de dire que la totalité de la distribution est absolument remarquable et qu’il faudrait être de bien mauvaise foi pour déceler dans le jeu de l’un ou l’autre la moindre faille : ils sont tous par-faits !

 

 

Si l’on veut savoir ma préférence (dont vraisemblablement tout le monde se fiche, mais que je donne sans difficulté) je suis absolument bluffé par le jeu de l’idiote absolue, gentille, généreuse, adorable Yolande, c’est-à-dire de Catherine Frot qui, dans son allure, ses mines, sa façon de parler ou de marcher met de telles nuances, une telle hauteur de jeu qu’on a tout le temps envie de la voir à l’écran. C’est vraiment elle qui domine la distribution et c’est une des raisons pour quoi je n’aurais pas choisi ce film pour rendre hommage à Jean-Pierre Bacri, mais bien plutôt Le goût des autres ou, mieux encore puisque là il n’est vraiment en concurrence avec personne, Le sens de la fête. Écrivant cela, je me rends compte que ces films-là sont programmés sur d’autres chaînes. Gâtisme, quand tu nous tiens !

Ils sont tous bons, ils sont tous excellents, mais ils jouent une pièce de théâtre, avec ce côté terriblement agaçant des scènes à faire, de la segmentation de l’intrigue qui ne progresse qu’ainsi, à coup d’orientation de projecteurs sur l’un ou l’autre des protagonistes. La différence du théâtre et du cinéma, c’est, ou ça pourrait être ça : la possibilité d’animer tous les personnages en même temps quand l’histoire contée le demande, grâce aux déplacements de la caméra, de l’usage des gros plans, etc. Et il me semble que dans Un air de famille, cette disposition fait largement défaut.

Cela étant, c’est souvent drôle et, mieux, c’est acide. Et davantage encore : amer. Ce que nous connaissons sans doute le mieux dans notre vie, c’est précisément cette cellule initiale, première, prépondérante, qui nous a accueillis, choyés, blessés, frustrés, émerveillés, rassurés. Cette cellule lourde de non-dits, de regrets, de jalousies, d’exaspérations et pourtant à peu près indissoluble puisqu’elle est aussi source de bonheurs multiples D’ailleurs, dans le film, comme dans la vie, on sait bien que, la semaine suivante, tout le monde se retrouvera dans ce décor de banlieue épouvantable, dans ce grand froid du rien du tout.

Désastre et désarroi, mais aussi, finalement, à la fois le naufrage et le radeau. Et images idéalisées de l’enfance, perçue comme un moment parfait alors que, finalement les choses n’étaient pas si simples, comme on l’apprend au détour d’une phrase et d’une rancœur qui s’exprime et qu’on ne veut pas forcément entendre.

Sur tous ces points la pièce – et donc le film – sont impeccables de lucidité grinçante. Je suis moins convaincu par l’histoire parallèle qui se joue entre Denis (Jean-Pierre Darroussin) et Betty (Agnès Jaoui), la fille rebelle, un peu marginale de la famille. Leur histoire amoureuse compliquée et difficile me semble un peu plaquée sur l’épicentre familial ; d’ailleurs l’histoire sidère Yolande/Frotqui est la seule qui ne soit pas d’un égoïsme forcené. Mais enfin, tout cela est de la psychologie pour classes primaires.

Et Jean-Pierre Bacri avait bien du talent. Wladimir Yordanoff aussi, qui est mort trois mois avant Bacri.

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