Un dimanche à la campagne

« Le vase où meurt cette verveine… »

Voilà un joli film modeste, sans péripéties, un peu triste. Un film qu’on pourrait dire aussi fané, comme peut l’être un bouquet de roses encore belles, un film de tonalité mineure, au sens musical du terme. Paisible, bien élevé, sage, finalement. Un film qui porte très bien son titre, Un dimanche à la campagne, avec ce que ces quelques mots simples peuvent éveiller des souvenirs en nous : la gentille routine des repas de famille, les chatoiements du temps qui passe, les heures passées à l’ombre des tonnelles, les éclats de soleil et la fraîcheur de l’ombre. Et sans doute aussi, sûrement, un petit morceau d’ennui avec, à la montée du soir, le regret d’avoir laissé passer ce nouveau dimanche, qui est un de plus pour les jeunes, un de moins pour les vieillards.

Le film se passe à la fin de l’été 1912 et cette date n’est naturellement pas innocente. Deux ans plus tard, nous serons en pleine bataille de la Marne et déjà des milliers de jeunes gens auront été fauchés dans les premiers combats. Mais 1912 c’est encore un de ces moments de grâce, de tranquillité, de douceur qui ont si bien caractérisé ces années qu’on les a appelées La belle époque ; l’ordre immuable des choses, que rien ne paraît pouvoir déranger, la stabilité du monde clos, aussi solide que le Franc Germinal qui n’a pas varié de 1803 à 1914. Cette impression d’immobilité est fausse, évidemment ; les orages politiques, diplomatiques, sociaux s’accumulent et déjà ont éclaté les arcs en ciel de la musique de Stravinski et de la peinture cubiste.

C’est précisément un peintre, d’ailleurs, qui est au centre d’Un dimanche à la campagne. Le vieux monsieur Ladmiral (Louis Ducreux) reçoit sa famille, comme presque tous les dimanches, dans sa belle maison de lointaine banlieue. Il a eu un certain talent, a sans doute été ami de Claude Monet ou d’Auguste Renoir, il a peut-être approché Paul Cézanne ou Vincent van Gogh, mais enfin il n’est pas monté dans le train de l’innovation, il a manqué d’audace et sûrement de génie. Son fils Gonzague (Michel Aumont) est encore beaucoup plus respectable que son père. Il a épousé, de façon un peu surprenante, une petite secrétaire, Marie-Thérèse (Geneviève Mnich) qui s’est vite embourgeoisée. Monsieur Ladmiral n’est pas très fier de son fils si conformiste, mais il a grâce à lui trois beaux petits-enfants, Émile (Thomas Duval), Lucien (Quentin Ogier) et Mireille (Katia Wostrikoff).

Mais la préférée du vieil homme, sa joie (mais sa souffrance aussi sans doute, ou plutôt son reproche), c’est sa fille Irène (Sabine Azéma), qui est, d’une certaine façon, tout ce qu’il n’a pas osé être, qui incarne la modernité triomphante : elle a une vie libre, elle conduit son automobile, elle fume, elle a un amant… Elle aime son père mais elle passe toujours en coup de vent, sûrement aussi parce que sa vie ne lui plaît guère, qu’elle l’arbore comme un drapeau d’indépendance mais qu’elle n’y trouve pas de bonheur.

Et voilà que les heures passent sous le soleil déclinant de septembre, dans le parfum un peu trop fort qui monte des fleurs du grand jardin. Irène repart à toute allure, son frère, sa belle-sœur et leur smala s’en vont par le train du soir, dans un wagon de 2ème classe (on en comptait trois, à l’époque ; le choix de la 2ème dit beaucoup de choses). Le vieil homme reste seul avec sa gouvernante, Mercédès (Monique Chaumette).

Le dernier pas ne fait pas la lassitude, il la déclare. (Montaigne).

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