Un mauvais fils

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En revoyant Un mauvais fils je me suis dit que Claude Sautet  s’affranchissait là de son rôle d’observateur attentif et merveilleusement précis de la société des années 70, celle filmée des Choses de la vie à Garçon ! (qui date, il est vrai de 1983) et passant par le chef-d’œuvre de Vincent, François, Paul… et les autres.

Quel que soit le milieu social qu’il scrute, Sautet en filme toujours les déglingues et les malentendus ; que, comme dans Un mauvais fils et comme le fait remarquer un des intervenants des suppléments du DVD on soit là chez des prolétaires qui ne savent pas manier le langage et n’ont à leur disposition qu’un vocabulaire restreint ou que, comme dans Vincent, François, Paul, etc., on soit dans une couche bourgeoise, tout se délite et on ne se parle pas ;  ou, si on se parle, on ne se comprend pas

Bien sûr il y a comme souvent, comme toujours peut-être, l’empreinte de l’absolue solitude dans quoi se débattent en pauvres petits pantins, les personnages, même les plus tonitruants, les plus éclatants, les plus théâtraux. Cela pourrait presque être adapté à la plupart des autres films de Sautet : les faux-semblants de Vincent, François, Paul, évidemment, mais aussi au Pierre (Michel Piccoli) des Choses au Max des Ferrailleurs, (Piccoli encore), aux trois protagonistes de César et Rosalie (Romy Schneider, Yves Montand, Sami Frey). Et plus tard encore à M. Arnaud (Michel Serrault). On reste seul, finalement et pour toujours dans un univers sans espérance. C’est la vie captée à hauteur d’homme avec ses saletés, ses compromissions, ses grands mystères et ses secrets glauques ou mesquins, ses sympathies et ses répulsions, ses chagrins insondables…

Est-ce que, parce qu’il changeait d’époque et d’acteurs, et donc de regard, Sautet a voulu donner à son film une petite lueur tendre, le fils revenu au chevet de son père et qui essaye de joindre au téléphone celle qu’il aime et qu’il a délaissée, dans une fin ouverte dont on peut déduire que l’avenir sera moins sombre ? Ce côté bienveillant pourrait être une faiblesse parce que la logique interne du système ne laisse pas beaucoup de place aux réconciliations, celles, donc, de Bruno (Dewaere) et de René (Yves Robert) et celle de Bruno et de Catherine (Brigitte Fossey), mais aussi celle de René et de Madeleine (Claire Maurier), non plus que celle de Dussart (Jacques Dufilho) avec les choses de la vie.

J’avais incliné jadis à juger cette fin heureuse et à tout le moins espérante ; mais en fait qu’est-ce qui prouve que ça va s’arranger, puisque les personnalités ne sont pas touchées par on ne sait quelle grâce transcendante, qu’on n’est ni dans un mélodrame bien-pensant ni chez Walt Disney ? Après tout on ne voit pas très bien pourquoi Catherine parviendrait à se détacher vraiment de la drogue, même si elle est en pleine période de rémission, pourquoi Bruno s’engagerait dans une voie sage, pourquoi René, son père, individu fruste et rongé de culpabilité à la suite de la mort de sa femme se pacifierait et entrainerait Madeleine, traquée par l’âge qui vient, dans une sage retraite. Et est-ce que les affaires et les angoisses du vieil homosexuel Adrien Dussart, glacé par tous les nœuds coulants qui l’étranglent et contre quoi il rue dans ce somptueux monologue après qu’il s’est aperçu du retour de Bruno à la drogue :

Vous n’avez qu’à sauter, ça ira plus vite ! Parce qu’il n’y a pas de sortie à part la fenêtre ! Sortir d’où ? De quoi ? De soi, des autres ? De quoi ? De la solitude, de la peur ? On va faire un tour, on est sorti ! Pour aller où ?!…

Voilà, il est neuf heures du matin, j’ai 63 ans, je me regarde, j’ai froid, je suis homosexuel, couvert de dettes, je ne sais plus comment payer ma vie, la librairie, Carlos, Catherine… Alors je bois une tasse, deux tasses de Cognac, la bouteille ! La bouteille, pourquoi pas ?…Et pourquoi il boit tout ça celui-là, puisqu’il a ses livres, ses disques, ce con !!!… En sortir… Au revoir, je sors, bon voyage ! Quand revenez vous ? Quand je serai dessaoulé ! Alors là je pourrai rentrer dans moi… je trouverai tout propre, tout repeint ! J’aurais trente ans, j’aurai plus peur de Bruno et de Catherine, la librairie m’appartiendra, tout le monde sera homosexuel et on persécutera tout ceux qui ne le sont pas et Carlos sera de gauche et ne dira plus de conneries ! Ah ! oui… Oui, ça sera bien d’être sorti, oui…A condition de pouvoir revenir, évidemment !-« 

Disons tout de même que l’instantané final donné par Sautet se situe à un moment où on peut croire à l’éclaircie ; c’est cela qui ne ressemble pas vraiment au Sautet qu’on aime ; et c’est peut-être la petite faiblesse du film.

Cela étant, c’est un film magnifique qui confirme la place de Sautet aux premiers rangs du cinéma français.

 

 

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