Vaudou

Maudit tam-tam !

Il est bien dommage que l’exceptionnel talent de Jacques Tourneur pour installer et faire vivre des ambiances inquiétantes ne s’asseye pas, dans ce film, sur un scénario de qualité. On lui prête une parenté certaine avec le roman Jane Eyre de Charlotte Brontë, qui date de 1847, que j’ai bien dû lire en édition abrégée de la Bibliothèque verte à mon adolescence mais que je ne me rappelle pas davantage que Les Hauts de Hurlevent de sa sœur Emily Brontë. Romanesque à l’excès et sans doute un peu pleurnichard à mon goût. Et paradoxalement Vaudou manque assez de cet aspect et demeure guindé, presque superficiel.

Une jeune femme, Betsy Connel (Frances Dee) est engagée pour servir de garde-malade, d’infirmière, de dame de compagnie (la chose est plutôt floue) à Jessica Holland (Christine Gordon), femme d’un riche planteur d’une île des Caraïbes qui ne doit pas être trop éloignée d’Haïti. La plantation ressemble à toutes celles qui ont hanté l’imaginaire occidental durant les deux premiers tiers du 20ème siècle : maîtres élégants, rogues, désinvoltes, serviteurs noirs empressés, dévoués, empreints d’une religiosité occulte diffuse.

Jacques Tourneur filme très bien tout cela, mais on dirait que, comme dans La féline il se désintéresse complétement du déroulement de l’intrigue, multipliant les raccourcis et les ellipses ; c’est ainsi que Betsy est d’abord courtisée par le sémillant Wesley Rand (James Ellison) demi-frère de Paul Holland (Tom Conway), sévère propriétaire du domaine et donc époux de la malade dont Betsy est censée s’occuper. Et puis, comme par un coup de baguette magique, Betsy et Paul engagent une belle histoire amoureuse, sans qu’on en ait vu les prémisses ni l’avancement. Je sais bien que le format très court du film (78 minutes) impose qu’on ne s’attarde pas sur les cheminements infinis de la découverte de l’autre, mais ici on est tout de même un peu frustré. On voit bien que ce qui préoccupe avant tout le réalisateur, c’est la mise en place d’une belle ambiance pleine d’ombres maléfiques, de couloirs et de recoins inquiétants, de lianes subreptices. Et aussi – ce qui est à mettre à son crédit – de bruitages qui font monter la touffeur exotique : psalmodies, halètements, pulsation des tambours, soupirs et émois de la forêt primale, brusques flashes sur une grenouille ou une chouette surgies au cœur de la nuit…

Mais dès lors qu’on a apprécié la qualité sourde de ces ambiances et qu’on s’en est rassasié, on souhaiterait tout de même que Jacques Tourneur ne se débarrasse pas avec tant de désinvolture de son histoire, ne la traite pas par dessous la jambe comme s’il fallait simplement terminer le plus rapidement du monde son film. C’est assez curieux parce que dans son meilleur film, Rendez-vous avec la peur, le metteur en scène n’hésite précisément pas à multiplier les fausses pistes et à faire monter la tension à coup d’ambiguïtés souverainement distillées.

Les suppléments du DVD et les multiples interventions des spécialistes de l’oeuvre du cinéaste paraissent montrer que Tourneur n’avait pas pour ses capacités une grande estime et tout autant qu’il se considérait comme un simple artisan à qui il ne fallait pas demander plus qu’il ne pouvait donner. Ce qui est bien dommage, tant il était évidemment capable de bien mieux.

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