Youth

Affiche youthLes dernières marches.

Le choc émerveillé que j’avais reçu avec La grande bellezza ne pouvait pas se poursuivre à ce niveau ; ça je m’en doutais bien, et j’ai passablement hésité à aller voir Youth, d’autant que le concert des critiques professionnelles était extraordinairement partagé sur le dernier film de Paolo Sorrentino. Remarquez bien, la haine et le mépris dispensés par Le Monde, Libération, Les Cahiers du cinéma, Les Inrockuptibles sont plutôt prétextes à en prendre le contrepied. Quand on évoque sur l’antépénultième titre de journal la grandiloquence criarde et éberluée des précédents navets de Sorrentino et sur le dernier Sorrentino semble souffrir d’une vieillesse dont il ne projette que des clichés désuets et baveux, on est plutôt disposé à apprécier un film détesté ainsi par des gens qu’on méprise.

Youth 241259Seulement, et quelle que soit la passion que j’ai éprouvée et que j’éprouve encore pour La grande bellezza, je ne puis pas, comme si j’étais pris par une sorte de fidélité militante, nier que j’ai été passablement décontenancé et souvent ennuyé par Youth. Certes, c’est vraiment du cinéma, avec des tas d’images invraisemblablement belles, cueillies au meilleur de leur beauté, enluminées de musiques qui interviennent exactement là où on les attend et où elle sont les plus adaptées, soutenu par des acteurs superbes ; Michael Caine, que je ne me rappelais que dans Zoulou et surtout dans L’homme qui voulut être roi il y a bien longtemps, est absolument étonnant en parvenant de donner beaucoup d’humanité à son personnage rebutant égocentrique.

youth_header-620x373Mais j’ai tout de même l’impression que Sorrentino, en voulant lier ensemble trop de liens en a laissé échapper quelques uns et n’a pas pu les rattraper. Fils de personnages et fils de réflexions. Je suis souvent surpris par la propension de beaucoup de cinéastes à présenter, à mettre sous les yeux des spectateurs des physionomies, des trognes, des personnalités en soi fascinantes et qui pourraient presque donner la matière d’un film si elles étaient davantage explorées alors que, souvent, elles sont à peine esquissées et conduisent à de fausses pistes. Ainsi dans Youth, Jimmy Tree (Paul Dano), le jeune acteur venu pour réfléchir à un rôle qu’il doit tenir, un temps connivent avec le musicien Fred Ballinger (Michael Caine) et le metteur en scène Mick Boyle (Harvey Keitel) mais qui disparaît de l’écran complètement à la fin ; ainsi la jeune masseuse aux dents rectifiées par des plaques métalliques (Luna Zimic Mijovic) qui passe ses soirées à imiter les chorégraphies de stars qu’elle passe sur son écran de télévision.

Le reproche est véniel, parce que ce cinéma là, tellement exempt de complaisance envers les sujets de société (au choix : l’homoparentalité, la sexualité des prêtres, les couples mixtes, les familles recomposées, les magouilles des multinationales : le tout venant), parce que ce cinéma propose de vraies angoisses et de vraies méchancetés à scruter. La grande bellezza montrait la frénésie de ceux qui s’aveuglent comme des pantins et se retrouvent au matin, la bouche amère. Youth donne à voir la montée du soir et l’effondrement graduel des défenses immunitaires qui s’effacent et qui finissent par laisser l’os à nu.

YouthOn ne peut pas pour autant passer sur des épisodes surprenants, qui ne convainquent pas : le concerto des clarines des vaches, le clip sexuel fantasmé, le bonze qui se met à léviter… et même, sans doute, l’irruption en plein champ de toutes les héroïnes des films de Mick.

Mais quelles minutes de grâce que le bain nu de Miss Univers (Madalina Diana Ghenea) et le dernier concert avec une miraculeuse soprano coréenne…


Revu ce jour et réévalué. Il y a des films qui doivent mûrir, comme les vins. Ce que je jugeais disparate trouve finalement une place très subtile, très précieuse dans la marqueterie de Sorrentino.

Cinéma surprenant, décontenançant, choquant quelquefois. Mais assurément cinéma de hauteur.

14 mars 2020

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