Bianca

L’enquiquineur.

Si je titre L’enquiquineur mon avis sur Bianca, il faut prendre ce propos sous un double aspect : il qualifie à la fois le personnage principal du film, le professeur de mathématiques Michele Apicella (Nanni Moretti) et surtout le réalisateur, qui s’est mis lui-même en scène. Le premier aspect ne serait pas forcément un défaut, puisqu’il est bien permis de choisir n’importe quel ennuyeux comme protagoniste et qu’on peut même tourner d’excellentes choses sur un sujet d’observation crispant. Mais le second l’est bien davantage, puisqu’il entraîne le spectateur vers quoi il ne souhaite vraiment pas aller : l’ennui profond, définitif et absolu.

C’est vrai : je me suis rarement autant ennuyé qu’avec ce film fuligineux, qui fuit par tous les interstices, comme une sorte de pâte grisâtre qui défierait toute étanchéité. C’est disloqué, cahoteux, brinquebalant, irritant. Ça se veut fable morale et subtile, en présentant un homme qui ne peut supporter la moindre imperfection chez lui, chez ses amis, chez ses amours et même chez le moindre quidam (le type en spartiates à qui il remonte la chaussette affaissée). Mais c’est si lourdement assené, comme une démonstration mathématique (contamination du métier du personnage ?), que ce qui devrait être léger, gracieux et amusant devient pesant et sans intérêt.

Il y avait pourtant à la base une idée agréable à exploiter : celle de l’homme qui s’installe dans un appartement entouré de voisins dont il découvre la vie, les comportements, les habitudes. Vous me direz que c’est exactement la situation de base de Fenêtre sur cour d‘Alfred Hitchcock, film bien ennuyeux lui aussi mais qui au moins ne se hausse pas du col. Seulement le professeur Michele, en plus de son petit espace immobilier est un observateur assidu de tout ce qui se passe autour de lui, à tout moment. Il scrute, il examine, il décortique et il se fait des idées.

J’ai songé, en voyant le film, à ce petit ouvrage brillant et équilibriste de Raymond Queneau qui s’appelle Exercices de style : une suite de petits faits bruts, infimes, insignifiants, toujours les mêmes, rapportés de manières différentes et avec des styles divers. Observant mes voisins – dans le peu que je puis regarder de leur vie, captée par l’embrasure d’une fenêtre – observant un passant dans la rue, mon voisin de bistro (quand on pouvait y aller encore) ou même un collègue de bureau, qu’est-ce que je puis savoir, qu’est-ce que je peux déduire de sa vie ? Je peux m’inventer des histoires et me raconter des billevesées à quoi je croirai ou qui seront simples supports de mes rêveries… Tout cela peut donner envie de réaliser un film qui s’établit sur des faux-semblants et des songes creux. Mais il faut de la virtuosité et de l’élégance pour y parvenir.

Je renonce à conter le pénible cheminement du récit où intervient une fille ravissante, Bianca (Laura Morante), amoureuse de Michele, à qui il n’accorde qu’une attention minime, parce que, dit-il, il a si peur d’être plus tard quitté donc de devoir rompre et qu’il ne veut pas souffrir. Ce genre de propos tête-à-claques (si l’on ose dire) fait partie des choses les plus exaspérantes du cinéma.

J’avais entendu vaguement parler de Nanni Moretti ; voilà qui ne me donne aucune envie d’aller découvrir le reste de sa filmographie.

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