Archive for the ‘Chroniques de films’ Category

L’Anglaise et le Duc

vendredi, mai 22nd, 2020

Voici le temps des assassins.

Né en 1920, Éric Rohmer avait donc 81 ans lorsqu’il a réalisé L’Anglaise et le Duc en 2001, c’est-à-dire un film dont une partie importante comporte des décors numériques, sans doute volontairement naïfs (un peu comme des images d’Épinal), dont les acteurs essentiels sont – l’Anglaise, Lucy Russell– une parfaite inconnue – et le Duc, Jean-Claude Dreyfus – un acteur de second rôle et qui tient sur la sacro-sainte Révolution française des propos agressifs et délicieusement iconoclastes pour ceux qui pensent comme moi que c’est vraiment la période la plus sombre de notre Histoire. Il est vrai que Rohmer n’a jamais fait du cinéma comme tout le monde et qu’il s’est même permis des audaces assez étranges, qui ne sont pas toujours réussies, d’ailleurs, comme Perceval le Gallois en 1978 ou Les amours d’Astrée et de Céladon tourné alors qu’il avait 87 ans (!) en 2007.

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Le sucre

mercredi, mai 20th, 2020

Les voyageurs de l’impériale.

Je gage que j’aurais bien davantage apprécié Le sucre si j’avais pu goûter à leur véritable mesure tous les trafics, toutes les arnaques, toutes les spéculations, toutes les escroqueries qui sont décrites de façon un peu massive par Jacques Rouffio, le spécialiste des sujets de société bien lourdingues (les mutineries de 1917 dans L’Horizon, les mafias médicales dans Sept morts sur ordonnance). Les virtuosités des polychromes spéculations sont tellement loin de mon paysage mental (je ne suis pas meilleur qu’un autre, je suis seulement peu capable) que les montages subtils, les ressorts psychologiques, les tentations de réaliser de gros gains sans rien faire, sur la seule foi d’un tuyau me laissent bouche bée. Et que, surtout, je ne pige pas tout. Pas du tout tout, si je puis dire.

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Farandole

mardi, mai 19th, 2020

« La Ronde » en minuscule.

Si j’évoque La Ronde du grand Max Ophuls en titre de cet avis, c’est parce que cette assez agréable Farandole en a tout à fait la structure circulaire et s’achève sur le retour dans un même lieu de bon nombre des personnages qu’on aura vu s’entrecroiser pendant toute la durée du film. Chez Ophuls, il est fait explicitement référence à une pièce de théâtre d’Arthur Schnitzler ; le générique de Farandole n’en fait pas mention, indiquant simplement que le scénario a été bâti par André Cayatte et Henri Jeanson. Comme il me semble à la fois démesuré et inutile d’entreprendre là-dessus de savantes recherches, je laisse la question ouverte. (suite…)

Ce qui nous lie

lundi, mai 18th, 2020

Ni flacon, ni ivresse.

Je n’ai pas de particulière prévention contre le cinéma de Cédric Klapisch, qui n’est certainement pas le phare lumineux du cinéma français, mais qui n’est pas non plus sa honte. On peut dire plutôt du bien du Péril jeune, de L’auberge espagnole et de Paris par exemple ; en tout cas on ne s’y ennuie pas. Mais il me semble qu’il a perdu la main et qu’il ne parvient plus à trouver un scénario intéressant, qui lui permette, sans éclat mais sans lourdeur, de poursuivre sa petite entreprise. C’est comme ça, quand il n’y a pas assez de substance ou plutôt de substrat : on épuise vite la terre arable. (suite…)

Love

lundi, mai 18th, 2020

Le Temps détruit tout.

On reproche à Gaspar Noé, souvent avec pertinence, une myriade de tics, d’habitudes, d’obsessions, une volonté de bousculer le spectateur, de le choquer, de le mettre supérieurement mal à l’aise. Et de fait on ne voit pas dans ses films apparaître le mot Fin (toujours écrit en très gros sur l’écran) sans respirer un peu mieux, sans être soulagé d’avoir porté sur ses épaules la masse des malheurs, des haines, des violences, des cruautés, des injustices et des malchances que le cinéaste présente et accumule. Avec une grande complaisance, aussi, pourra-t-on dire, et on n’aura pas tort. La vie est lourde à vivre et le Temps détruit tout, voilà à peu près la morale de ses histoires. Rien de léger, seulement du pesant, un pesant insupportable. (suite…)

Ariane

samedi, mai 16th, 2020

L’amour, mode d’emploi.

Aussi charmant qu’artificiel, aussi artificiel que charmant, voici Ariane, un film à la. fois léger et profond donné par Billy Wilder qui n’était ni tout à fait étasunien, ni tout à fait européen mais qui donnait au Nouveau monde l’image de ce que l’Ancien Monde avait été et qui allait disparaître pour toujours. Une sorte de légèreté, de désinvolture, de distance avec les contingences, un art de vivre qui ne reviendrait jamais plus. Un film qui s’ouvre en présentant Paris comme la capitale de l’Amour, où des amoureux de tout âge et de toute espèce s’embrassent à tous les coins de rue. Wilder, né malin, a adapté et transposé en France, pays de la volupté (aux yeux des vertueux États-Unis de 1957) un roman de Claude Anet paru en 1920 et intitulé Ariane, jeune fille russe, qui se déroulait à Berlin, ville infiniment moins glamour, n’est-ce pas ? (suite…)

Le chat à neuf queues

mercredi, mai 13th, 2020

Mortelle randonnée.

Attacherait-on de l’importance à ce film si l’on ne savait que c’est le deuxième de Dario Argento, le deuxième de la trilogie animale qu’il forme avec L’oiseau au plumage de cristal et Quatre mouches de velours gris ? C’est bien fichu, bien mené, il y a quelques scènes mémorables et un rythme soutenu, mais enfin on oubliera vite cette intrigue compliquée qui, à la fin, lors de la révélation obligée, apparaît dans une grande banalité. Et pourtant les grands films de la veine horrifique, intrigante, perturbante sont ceux où, bien après les avoir vus, on se les remémore dans la fraîcheur inquiète de son lit et où on frémit au moindre grincement d’une plinthe. Le chat à neuf queues poursuit très honnêtement son chemin, donne son lot réglementaire d’émotions et de frémissements, mais ne répand pas tout à fait cette atmosphère panique qui est tellement recherchée par l’amateur. (suite…)

Une chambre en ville

mardi, mai 12th, 2020

Il n’y a plus d’après.

Je comprends parfaitement qu’on puisse avoir de la réticence et même du rejet envers ces films entièrement chantés que Jacques Demy a, sûrement à peu près seul dans le paysage cinématographique, tournés et mis au premier plan. J’ai encore le souvenir de mines décontenancées des spectateurs qui quittaient la salle au bout d’un quart d’heure lorsqu’en 1964, j’ai vu pour la première fois Les parapluies de Cherbourg. Il faut admettre l’artifice, accepter la fantasmagorie, ne pas être rebuté par la convention. On entre ou on n’entre pas dans cette optique et on peut tout à fait concevoir que sa longue illusion est absolument insupportable. C’est encore plus artificiel que la comédie musicale, genre où les acteurs entreprennent à des moments choisis de lever la gambette et de pousser la chansonnette. (suite…)

Pour 100 briques, t’as plus rien

mardi, mai 12th, 2020

Tout s’achète et tout se vend.

Il y a eu, au début des années 80, une mode assez singulière et qui me semble, comme toutes les modes, être passée de mode : celle d’associer sur l’écran un couple d’acteurs à la dégaine et aux tempéraments opposés. Cela ne faisait d’ailleurs que reprendre d’anciennes recettes, qui vont de Don Quichotte et Sancho Pança à Laurel et Hardy. Mais donc, à foison, surgissement de films où un grand balaise bien doté par la nature (et souvent chéri de ces dames) et un gringalet lunaire ou grognon cohabitent. Éliminons vite les pochades répétitives de Francis Veber avec Gérard Depardieu et Pierre Richard (La chèvre ou Les fugitifs), aventures exotiques ou ensoleillées toutes bâties sur le même schéma (puisque ça marche !). (suite…)

L’an 01

lundi, mai 11th, 2020

« On arrête tout et c’est pas triste ! »

L’étrange folie de Mai 1968 a entraîné, dans les années qui suivirent, la réalisation d’un bon nombre de films très militants, tournés avec trois bouts de ficelle et souvent consacrés à des luttes ouvrières surgies ici et là. Un peu plus tardivement sont survenues des œuvres plus élaborées, comme Camarades et Coup pour coup de Marin KarmitzLe fond de l’air est rouge de Chris Marker et surtout – vraiment très intéressant – Mourir à trente ans de Romain Goupil. Tous ces films-là et sûrement beaucoup d’autres, avaient une orientation clairement militante et appuyaient très fort sur la condition ouvrière, la lutte des classes et toute la doxa marxiste ou marxisante. (suite…)