Iwo Jima

Citrons pressés.

Rien n’est moins facile à décrire que le cheminement d’une bataille, vous diront sans ambages tous les Fabrice del Dongo du monde. Et j’ajouterai volontiers que rien n’est plus ennuyeux. C’est pourquoi tous les cinéastes qui ont braqué leurs caméras sur les cérémonies sanglantes de la guerre ont pris le parti de focaliser leur vision sur un petit groupe (ou des petits groupes) de combattants conduits par une forte personnalité. Grâce à cet artifice, le spectateur s’accroche, qui aurait tendance à bâiller si on lui présentait savamment le cheminement des troupes, les attaques et contre-attaques, les finesses tactiques, qui sont affaires de spécialistes.

J’ai vu, il y a bien longtemps, au début des années 50, cet Iwo-Jima d’Allan Dwan. Je m’y étais bien ennuyé alors que, gamin, j’avais l’âme martiale et plutôt de la sympathie pour les États-Unis d’Amérique, que je croyais être nos amis. Mais tout cela se passait dans les lointaines contrées de l’Extrême-Orient, compliquées et ennuyeuses ; on savait que la question, trop longtemps pendante, avait été vigoureusement réglée les 6 et 9 août 1945 à Hiroshima et Nagasaki et on se demandait pourquoi un atoll inhabité situé à plus de 1000 kilomètres de Tokyo avait justifié un assaut si meurtrier.

J’ai appris depuis lors que l’affaire avait fait près de 21000 morts du côté japonais et plus de 7000 du côté étasunien. Fort bien – si j’ose dire -. N’empêche qu’il faudrait bien que dans un des films consacrés à la bataille on explique aux forcément incultes Européens l’importance stratégique logistique de l’îlot. Aux États-Unis, il semble que l’assaut ait atteint une dimension mythique, au point que Clint Eastwood lui a consacré deux films, l’un Mémoires de nos pères qui examine les choses du point de vue américain, l’autre, Lettres d’Iwo Jima du point de vue ennemi (bizarre idée au demeurant).

Venons au film, bonne production de prestige réalisée avec d’importants moyens et l’aide intéressée du corps des Marines, qu’il était paraît-il question de supprimer au lendemain de la Guerre pour faire des économies (c’est terrible cette propension des démocraties de se dépouiller de leurs principaux remparts dès qu’elles le peuvent, puis, souvent de pleurnicher lorsqu’elles constatent que l’Histoire est tragique). Groupe de braves soldats groupés sous la houlette rigoureuse, sévère, autoritaire mais juste et nécessaire su Sergent John Stryker (John Wayne). Le sous-officier d’élite a eu le malheur, dix ans auparavant (si j’ai bien compris) d’avoir été abandonné par sa femme qui, pour faire bonne mesure, a emmené leur fils, alors tout jeune. On comprend donc pourquoi Stryker développe une certaine rugosité de contact et se saoule consciencieusement la gueule à chaque permission.

Autour de lui quelques personnalités un peu atypiques et pittoresques, comme les deux jumeaux Frank et Eddie Flynn (Richard Jaeckel et William Murphy) qui se mettent mutuellement des peignées à la moindre occasion tout en étant inséparables et quelques autres, braves garçons de l’Oklahoma ou du Mississippi qui font consciencieusement leur devoir. Mais comme il faut un tout petit peu d’intrigue, voilà le personnage de Peter Conway (John Agar), fils d’un général mort au combat à qui le sergent Stryker voue un véritable culte. Le jeune Conway, qui s’est engagé par tradition familiale, déteste la guerre, le milieu rustaud dans quoi il est tombé et, plus que tout, le sergent Stryker, qui lui rappelle par trop la figure d’un père qui était en fait un père fouettard.

Une large première demi-heure du film est consacrée à l’entraînement des Marines, ordre serré, parcours du combattant, combat au corps à corps, marche et tout le tremblement. C’est nettement moins spectaculaire que dans Full metal jacket, au demeurant et ça traîne même passablement. Mais il faut bien partir au combat. Et même à deux combats puisqu’avant Iwo Jima, les soldats doivent s’emparer de l’île de Tarawa. C’est là que le bât blesse, parce que tout cela est terriblement répétitif. Ça explose de partout, ça mitraille, ça tiraille et – chose glaçante, si je puis m’exprimer ainsi – les lance-flammes envoient leurs longues traînées brûlantes dans tous les repaires nippons (il faut avouer qu’on ne voit pas le résultat de cette carbonisation mais on en constate l’efficacité).

Comme nous sommes, lors du tournage du film, en 1949, il y a une aimable partie sentimentale : ce n’est pas Peter Conway (qui, soit dit en passant, vient de devenir papa grâce à une jeune néo-zélandaise, Allison Bromley (Adele Mara), rencontrée lors d’une permission), ce n’est donc pas Peter Conway, qui avait une mauvaise intuition en partant au combat qui recevra la dernière balle fatale, mais le Sergent Stryker. C’est très noble.

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