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Accablant, inutile, exaspérant.

Je crois bien que c’est là le premier film de Jean-Luc Godard d’après 68 que je regarde ; depuis que, grisé par les fariboles et la stupidité arrogante de Mai 68, il a quitté ce qu’on pourrait appeler le cinéma des spectateurs. Remarquez bien que ses films d’avant, même À bout de souffle, même Le mépris, les films de Godard qu’aiment ceux qui n’aiment pas Godard ne m’ont jamais paru valoir tripette et que la prétention, la suffisance, le nombrilisme du bonhomme m’ont toujours paru de mauvais aloi. Mais il y avait donc pire que Pierrot le fouDeux ou trois choses que je sais d’elle ou La Chinoise. Il y avait ce qui s’est passé après la crise de conscience maoïste grotesque (pléonasme, non ?).

Ce qui est effarant, c’est que Godard, crachant à la gueule de façon ostentatoire aux professionnels de la profession continue à recevoir d’eux douceurs, gentillesses et marrons glacés. Adulations qui conduisent à décerner au Genevois un Lion d’or d’honneur à la Mostra de Venise, un prix du Jury à Cannes, deux César d’honneur en 1987 et 1998, une Palme d’or d’honneur en 2018. Voilà un type qui vous méprise, qui ne cesse de vous le cracher à la gueule et que vous entourez de votre tendresse. Cela dit beaucoup sur la veulerie de notre monde d’aujourd’hui.

Dès lors, pourquoi se gêner puisque, quoi qu’on fasse on recevra les approbations femelles de la médiature qui compte et qui bêle d’enthousiasme à la moindre crotte produite par le génie cosmo-planétaire ? Autant se mettre en valeur, se déverser avec complaisance et tenter de faire sentir au malheureux qui vous regarde quelle grâce on lui fait.

Je ne dis pas que le genre de l’autobiographie cinématographique est totalement dépourvu d’intérêt. Alain Cavalier, un étrange cinéaste que j’apprécie (et pas simplement pour le lumineux Thérèse) s’est mis en scène dans Le filmeur ; il est parvenu, malgré l’aridité des images et la sécheresse du propos à donner à voir des bribes de sa vie sans prétendre reconstituer la formule magique de l’existence. Ce n’est pas du tout le cas avec Godard qui présente un moyen métrage inquiet, essoufflé, terriblement ennuyeux. C’est d’ailleurs tout à fait à sa manière et dans son style : images fixes, propos inaudibles, voix qui viennent de n’importe où et balbutient n’importe quoi, lecture de textes qui surviennent sans à-propos ni pertinence, qui ne font que satisfaire le goût du réalisateur pour l’esbroufe.

Car ce n’est pas parce que on lit le beau quatrain de Louis Aragon Quand il faudra fermer le livre… d’un ton compassé et qui se veut profond qu’on entre pour autant dans la magie de la poésie. Il feuillette Adrienne Mesurat de Julien Green ou un livre de science-fiction d’A.E. Van Vogt. Docte, professoral, pontifiant, Jean-Luc Godard toise de haut les malheureux à qui il fait l’honneur de présenter ce qu’il présente comme des films ; il leur demande respect, ferveur, vénération, même et en tout cas aucun questionnement sur l’agrément, seulement même l’intérêt qu’ils peuvent éprouver à ses ratiocinations.

Auto-complaisance presque obscène tant elle est à la fois satisfaite d’elle-même et méprisante pour ceux à qui est destiné, en principe, le film. Car, quoi qu’on en dise, on ne filme pas pour soi mais pour le type qui s’assied devant un écran, dans une salle ou sur son canapé.

Godard est persuadé d’avoir quelque chose à dire. Faiblesse assez bien partagée par le monde de la création artistique. Le malheur est qu’après sa rupture avec le monde du cinéma commercial, toutes ses tentatives pour y reprendre pied se sont lamentablement cassé la gueule. Y compris lorsqu’il a fait venir dans sa boutique les stars censées attirer le public. Rien n’y a fait : que ce soit avec Alain Delon, Gérard Depardieu, Johnny Hallyday, Claude Brasseur ou même (horresco referens !) Jacques Villeret ou Michel Galabru, ça ne marche pas, le public ne vient pas.

Allez, une goutte de bienveillance : trois ou quatre séquences de l’hiver glaçant du lac Léman ; quelques images bien filmées. Du gâchis.

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