Ennio

Si proche de la grâce…

Avec les diverses Germanies, il n’est pas contestable que l’Italie est le pays de la musique. Et il serait bien extraordinaire que ce pays enchanté n’ait pas donné au cinéma, l’art nouveau et majeur du 20ème siècle de merveilleux animateurs, compositeurs de musiques de films. On citera beaucoup Nino Rota, qui a fait sa carrière avec Federico Fellini, qui n’est pas du tout désagréable, dont pourtant les mélodies sont minimales, mais il faut évoquer d’autres grands noms. Sans aller chercher trop loin, en voici d’autres, avec leurs compositions que je préfère d’eux : Claudio Gizzi (Du sang pour Dracula), Carlo Rustichelli (Mes chers amis), Riz Ortolani (Cannibal holocaust). Des compositions superbes, assurément.

Une fois dit cela, est-ce que, aussi bien dans la notoriété que dans la qualité un de ceux-là existe devant Ennio Morricone ? Devant l’abondance, la qualité, la variété, la puissance de son écriture ? Je ne l’imagine pas et personne, à vrai dire ne va chipoter cette première place. D’où l’évidence du film de Giuseppe Tornatore, dont tous les films, depuis Cinema Paradiso qui doit une bonne partie de son succès immense à la partition musicale, ont été enluminés par Morricone.

Qu’est-ce que c’est que ce film, au juste ? Une longue suite d’interventions de dix, vingt, trente admirateurs du musicien, admirateurs de toute nature (producteurs, acteurs, réalisateurs, chanteurs, musicologues, instrumentistes) qui tous disent la qualité, l’intelligence, le talent, le génie même de Morricone ? Oui, un peu. Sans doute trop même, dans un montage à mon sens un peu trop saccadé et haché. Mais aussi de subtiles indications sur la façon dont le musicien compose, sur les innovations qu’il apporte, sur la subtilité de ses références musicales, issues d’une culture reçue de ses années de conservatoire, de ses études au plus haut niveau de la création.

Ah, c’est bien là qu’on regrette de n’avoir pas soi-même des lumières plus importantes qu’on ne les a sur cet aspect savant de la musique, qui dépasseraient les élémentaires bases du solfège : la dissonance, le contrepoint, l’appoggiature, l’atonalité, cent autres termes devinés mais non pas connus ; et comme on aimerait aussi pouvoir suivre l’écriture extraordinairement rapide de Morricone sur les partitions, ces touches qui volent et qui marquent des notes, des silences, des orchestrations ébouriffantes ! D’ailleurs l’artiste le dit lui-même plusieurs fois dans le film : une partition est faite pour être jouée, non pas pour être lue.

Au cours du film, sans doute un peu trop long, on parcourt l’évolution du compositeur. Formé aux plus hautes disciplines de la musique savante et élève parmi les meilleurs – et le meilleur peut-être – des maîtres de la composition, voilà qu’il entre peu à peu dans le monde de la musique de film. Notons qu’il garde une certaine réserve d’avoir été tenu pour un faiseur soucieux avant tout de bien gagner sa vie et d’avoir un succès public par ses camarades puristes du Conservatoire ; mais que tout le parcours du film montre toutes les préventions s’évanouir devant l’extraordinaire talent du Maître.

Ce qui est fascinant, c’est la façon dont le musicien – et ceux qui ont accompagné son parcours – expliquent la façon dont, pour ses compositions, il a su à la fois s’adapter aux sujets, aux réalisateurs, aux genres et réaliser une partition originale, souvent stupéfiante qui a marqué à jamais l’histoire du cinéma. La tétralogie des westerns de Sergio Leone est expliquée, détaillée de façon telle qu’on a la certitude, ensuite, d’avoir mieux saisi l’esprit des films. Et de la même façon pour Le clan des Siciliens, pour Sacco et Vanzetti, pour La bataille d’Alger,pour les gialli de Dario Argento. Et tant d’autres merveilles. Parce qu’il y a aussi des films dont on a tout oublié, mais qui ne demeurent dans les mémoires que par leur thème musical.

Et puis les représentations : les musiques les plus célèbres jouées et chantées par des orchestres et des chœurs considérables, devant des publics rassemblés dans des stades, dans le Colisée, sur des places immenses, qui chantent les mélodies ; et aussi les musiques absolues qui se rapportent aux courants musicaux les plus modernes. Les plus austères, évidemment ; mais qui montrent la pluralité des talents et des inspirations de cet homme mort en juillet 2020, avec le soutien de la Foi.

C’est certain, Ennio, vous aviez en vous une parcelle divine.

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