Les tueurs de la lune de miel

Les amoureux sont seuls au monde.

L’atmosphère du film est tout de suite malsaine et agressive, aigre et violente. Martha Beck (Shirley Stoler), infirmière en chef dans un service d’un grand hôpital surprend deux de ses agents, un homme et une femme qui viennent de se donner du bon temps et, furieuse, elle les congédie. Martha est grasse, boulimique, seule et frustrée. Chez elle il y a sa mère, impotente et idiote (Dortha Duckworth) que garde une amie cancanière, Bunny (Doris Roberts) pendant les absences de l’infirmière. Bunny a fait adresser à Martha, sans lui en parler, le prospectus d’une agence matrimoniale. Elle va, après un peu de réticences, accepter de s’inscrire. Et bientôt elle reçoit les lettres, de plus en plus brûlantes de Raymond Fernandez (Tony Lo Bianco). Tout cela est tourné en caméra portée, avec un montage rapide, des gros plans, des images sales.

Le titre du film, Les tueurs de la lune de miel dit à peu près la suite de la relation de cette histoire à fond de réalité, adaptée de cette dérive de tueurs aux petites annonces. Fernandez est une sorte de Landru bonhomme, un Landru à la petite semaine qui, grâce à un physique avantageux et une réelle capacité à écrire ce que de pauvres femmes esseulées veulent lire, parvient à soutirer les économies de ses conquêtes avant de disparaître sans laisser d’adresse. C’est que ses conquêtes, lorsqu’elles sont abandonnées en rase campagne, n’osent pas trop se plaindre devant la justice, ayant souvent proclamé leur passion dans des termes enflammés que les puritains États-Unis de 1950 ne pourraient admettre. Et puis l’organisation judiciaire du pays, ces règlementations qui diffèrent selon les États, ne facilitent naturellement pas le croisement des fichiers et la recherche de délinquants qui sont aussi ondoyants que des truites de montagne.

On comprend bien qu’assez tôt Martha et Raymond vont s’entendre pour poursuivre le dépouillement des pauvres nouilles énamourées. Ce qui est assez subtil, dans le film de Leonard Kastle, c’est précisément la psychologie des amants diaboliques. On voit bien que Raymond est tout à fait satisfait d’avoir trouvé, pour ses basses œuvres, une complice obéissante. On le voit flemmard, jouisseur, parasitique. Martha, c’est un peu plus compliqué ; ou finalement assez simple : elle est passionnément amoureuse de cet homme et elle est prête à tout faire pour lui, sauf à admettre que, même pour les intérêts de leur petite entreprise il puisse coucher avec une de leurs proies. Ce qui, naturellement, est assez compliqué, s’agissant d’une arnaque fondée sur la séduction de dames mûrissantes en mal de compagnon.

Au fait, ce qui est très intéressant dans le film, c’est la large palette des misères sentimentales et sexuelles représentées : Doris Acker (Jo Ann Harris), bréhaigne qui s’en sortira, dépouillée de ses sous et de ses bijoux ; Myrtle (Marilyn Chris), nymphomane et bisexuelle que Martha empoisonne ; Evelyn (Barbara Cason), propriétaire d’un hôtel, qui excite la libido de Raymond au point que Martha menace de se noyer ; puis Janet Fay (Mary Jane Higby), vieille veuve pépiante et rapiat, tuée à coup de marteau par Martha dans une cave et achevée par Raymond ; et enfin Delphine (Kip McArdle), veuve de guerre et mère d’une charmante fillette , Rainelle (Mary Breen), l’une et l’autre assassinées après que Martha a appris que Delphine était enceinte de Ray. Et elle supporte si peu cette infidélité qu’elle dénonce son compagnon et elle-même à la police. Jusqu’au bout, une passion folle.

Les deux amants seront exécutés le 8 mars 1951.

Par rapport à l’histoire effective des deux tueurs, le film est plutôt affadi. dans la réalité, le couple est réputé avoir zigouillé une vingtaine de femmes. Et la vraie Martha, avant même de rencontrer Raymond, avait connu une vie amoureuse mouvementée. Accusant son père et son frère de l’avoir violée enfant, elle avait collectionné les partenaires malgré (grâce à ?) son obésité maladive et avait eu deux enfants de deux pères différents, abandonnés aux bonnes œuvres de L’armée du Salut dès que son amant l’a captivée ; elle n’était pas infirmière chef dans un service important mais simple soignante dans un institut pour enfants handicapés. C ‘est-à-dire que le film se focalise, avec talent, au demeurant, sur la relation des deux amants et la fascination absolue de Martha envers l’homme qui incarne pour elle la passion absolue et la dépendance sexuelle.

Autre qualité : il n’y a absolument aucune empathie possible pour les victimes, toutes idiotes, médiocres, avares, niaises, ridicules, exaspérantes. On n’ira pas jusqu’à dire qu’on n’est pas malheureux qu’elles soient éliminées (à tout le moins grugées, car toutes ne trépassent pas), mais enfin on n’en est pas loin.

En fait, Les tueurs de la lune de miel est le film de l’absolue médiocrité.

Leave a Reply