Mise à sac

Les histoires d’amour finissent mal (en général).

Étrange carrière d’Alain Cavalier ! D’abord deux films à résonances politiques, Le combat dans l’île et L’insoumis, autour des derniers soubresauts de la guerre d’Algérie, et ce Mise à sac, thriller très maîtrisé et haletant, bien qu’il puisse paraître un peu sec. Il y aura ensuite un grand succès d’adaptation, La chamade, d’après Françoise Sagan, puis le réalisateur partira vers d’autres rivages, un cinéma plus personnel encore (Le plein de superUn étrange voyage), un chef-d’œuvre de profondeur qui n’a pas d’équivalent (Thérèse) et un chemin encore plus intimiste, souvent trop hermétique (Libera meLe filmeur). Parcours singulier, très loin des cases.

Donc, Mise à sac. Un sujet en or, inspiré d’un roman de Richard Stark (un des pseudonymes de Donald E. Westlake, scénarisé par Claude Sautet. Servage, une petite ville (26 000 habitants) des Alpes, cernée par les montagnes, coincée dans un cul-de-sac, desservie donc, seulement, par une seule route. Une grande usine qui doit apporter une certaine prospérité et qui emploie en tout cas une bonne partie de la population. On pense évidemment à Saint Jean de Maurienne et à l’aluminium de Péchiney (et d’ailleurs, au vu des photos de la cité savoyarde, je gage que c’est là que certains extérieurs ont été tournés). Edgar (Daniel Ivernel), ancien contremaître de l’usine et enfant du pays qu’il a, dit-il, quitté pour gagner d’avantage ailleurs, réunit autour de lui une équipe de gangsters chevronnés qui seront placés sous la houlette de Georges (Michel Constantin).

Il s’agit, en profitant de la situation particulière de la ville et de la relative facilité de la bloquer complétement, de la littéralement mettre à sac, c’est-à-dire de la dévaliser, de vider les coffres de l’usine, emplis de la paye mensuelle des ouvriers (en 1967, on est encore rémunéré en billets de banque) mais aussi les coffres des banques et des commerces les plus importants. Pour ce gros coup, qui peut rapporter une somme fabuleuse, quelque chose comme 300 millions de francs, il suffit de neutraliser quelques positions stratégiques. Le commissariat, en premier lieu ; ce n’est pas trop difficile puisque, la nuit, de permanence n’y demeurent qu’un brigadier et deux hommes, quadragénaires pépères, vite neutralisés, rien à voir avec les cow-boys du Raid. Puis la caserne des pompiers où somnolent quatre factionnaires. Et aussi le central téléphonique de la Poste où des demoiselles – parmi qui Marie-Jeanne (Irène Tunc) – enfilent des fiches et donnent les communications.

Je reviens un peu en arrière. Ce qui donne une grande qualité à Mise à sac, c’est le réalisme de la situation, du montage du coup : choix par l’équipe initiale des complices qui participeront, constitution de l’équipe, états d’âme de certains, mise en route du plan. Cette partie, qui peut paraître un peu longue est pourtant absolument nécessaire à l’équilibre du film et à son positionnement : de robustes et consciencieux artisans se donnent une tâche et la réalisent. Rien à voir avec les fariboles du type Ocean’s eleven. Et parallèlement, donc, un sentiment de cohérence et d’exactitude.

Lorsque l’affaire commence, tout va pour le mieux et les choses se déroulent ainsi que prévu, dans la bourgade où les lumières des bistrots s’éteignent à minuit pile et où les rues sont désespérément vides (mais pour s’en étonner, il faudrait n’être jamais sorti de Paris : la province profonde, c’est un désert nocturne et, de plus en plus en plus un désert diurne, d’ailleurs). Évidemment il faut avoir en tête qu’on est là en 1967, dans une France où l’on ne se méfie pas de tout et où il n’y a pas les systèmes de sécurité sophistiqués que nous connaissons aujourd’hui (qui n’empêchent au demeurant absolument rien et ne nous laissent que nos yeux pour avoir peur et pour pleurer). Courtes séquences, bien rythmées et bien montées des différentes équipes qui dévalisent la ville.

Il y a naturellement un grain de sable dans la machine : si Edgar/Ivernel a voulu monter l’affaire, c’est moins pour faire fortune que pour se venger du fils du patron de l’usine qui, jadis, lui a piqué sa femme et, au bout de trois mois, l’a abandonnée, l’amenant au suicide. Edgar ne se refuse pas une torride expédition punitive chez son ennemi personnel. Ce qui entraînera, du fait de la prévalence absolue de la loi de l’emmerdement maximum, la foirade de l’expédition.

Foirade ? Certes, mais ce n’est pas pour tout le monde ; et un des beaux mérites du film d’Alain Cavalier est de différencier le sort des bandits : Edgar est mort, Maurice (Franco Interlenghi) et Paulus (Philippe Moreau) ont été capturés par la Gendarmerie, mais le reste du groupe et, assez miraculeusement, Georges/Constantin et Stéphane/Paul Le Person paraissent s’en sortir… quand on vous dit que Cavalier n’est pas un cinéaste comme les autres…

 

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