Quand les anges tombent

Histoire sans fin.

Voilà, il me semble, le meilleur des sept court métrages pieusement édités par Carlotta films qui reprennent des études, des devoirs, des projets, des tentatives filmés par Roman Polanski lorsqu’il était étudiant à la prestigieuse école de Lodz, que la Pologne communiste réservait aux meilleurs étudiants après une sélection féroce, leur donnant alors une très solide formation technique et des moyens importants pour découvrir tout le cinéma mondial. À dire vrai, les autres segments du DVD sont de valeur vraiment inégale et je partage plutôt l’avis du réalisateur : Les films qui vous sont ici présentés n’étaient pas destinés à être montrés en dehors de l’école et d’ailleurs je conseille à tous les gens qui ont acheté ce DVD de ne pas le regarder. D’abord parce que ça n’en vaut pas la peine et pour respecter le désir du réalisateur.

Mais notre époque est ainsi faite qu’elle veut de l’exhaustif ; il existait, par exemple, une excellente édition de Gustave Flaubert en Pléiade en deux tomes ; une nouvelle édition en compte quatre, où sont imprimés les moindres bouts d’inspiration du solitaire de Croisset, à quoi il faut ajouter cinq volumes de correspondance et – c’est là que je reviens à Polanski – un volume entier d‘œuvres de jeunesse, y compris des graffitis de cahiers d’écolier. Le premier film réalisé par Polanski en 1957, s’intitule Meurtre et dure deux minutes ; le deuxième, Rire de toutes ses dents, est à peine plus long. Et ainsi de suite.

En d’autres termes,si vous ne nourrissez pas une passion torrentueuse pour le réalisateur ou bien si le Dvd ne vous est pas tombé miraculeusement entre les mains (c’est bien mon cas), inutile de dépenser des picaillons toujours précieux pour se plonger dans les origines du talent d’un metteur en scène singulier, toujours (ou presque) talentueux (RépulsionLe bal des vampires), quelquefois proche du génie (Rosemary’s babyLe locataire). Mais pourtant, bien sûr, dès ces origines on s’aperçoit que Polanski a en lui l’œil et la quantité d’étrangeté nécessaire pour nous conduire dans les étranges paysages de sa personnalité, dans ses dissonances, dans son goût pour des huis-clos assez étouffants, dans un monde finalement assez malsain.

Quand les anges tombent oscille entre le naturalisme et ses tristesses, sa médiocrité et la rêverie tendre ; j’ai songé, en regardant ces dix-sept minutes à l’admirable Miracle à Milan de Vittorio De Sica, où les habitants d’un bidonville s’envolent, à la fin, vers le Paradis. Le court-métrage n’a pas de rapport direct avec le film, sinon le regard affectueux porté sur les pauvres gens : une vieille femme, très vieille, évidemment très pauvre, aux larges rides qui montrent que toute sa vie n’a été que chagrins, duretés et larmes se hâte vers son modeste emploi, dès l’aube. Ce modeste emploi, c’est un ensemble de toilettes publiques en sous-sol. Des toilettes très chics, avec des vasques de porcelaine, mais ça ne change tout de même pas grand chose à la nature du boulot, n’est-ce pas ?

La vieille dame, qui fait penser à toutes les pauvres vieilles dames du cinéma (comme Sylvie dans Sous le ciel de Paris), attend et songe. Du Noir et Blanc, on passe à la couleur, aux temps anciens où la vie était belle et pleine de promesses ; un beau uhlan qui lui sourit, la séduit, l’entraîne au bord de l’eau. Un bonheur simple ; mais peut-être le soldat est-il un déserteur ? Capturé, fusillé ? Un bébé est né, il faut partir vers la grande ville, parce qu’on est chassée par un père, ou un patron. Les ménages qu’on fait à genoux avec le temps qui creuse les rides. Et pendant la rêverie, le petit monde des goguenots : des gens affairés, un ivrogne, deux homosexuels maniérés qui se cherchent, se toisent, se retrouvent.

Toute une vie qui passe. Et un ange tombe du ciel. Enfin la vie est finie.

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