Opération peur

Petite musique de nuit.

Ne se fier en aucun cas au titre allemand (!) du film de Mario Bava qui est Die toten Augen des Dr. Dracula (Les yeux fermés du Docteur Dracula), qui est complétement stupide et fallacieux, mais déplorer que les titres italien et français, Opération peur soient si ternes. Déplorer que Bava ait eu aussi peu de moyens et de temps pour réaliser le film mais se féliciter que son talent ait su transcender ces handicaps en le poussant à de nombreuses innovations ingénieuses. Surtout apprécier l’originalité réelle du scénario et goûter retrouver là le cinéaste que l’on aime, ce créateur d’atmosphères angoissantes et d’ambiances troubles.

Certes il n’y a ni Christopher Lee, ni Barbara Steele, ni Michèle Mercier au générique, impossibles à rémunérer correctement, mais la distribution tout italienne tient tout à fait le choc ; on déplore avec un peu d’ironie que l’abondante chevelure permanentée du héros, le docteur Paul Eswai (Giacomo Rossi Stuart) ne soit pas dérangée le moins du monde par les épouvantes qu’il affronte et les courses qu’il effectue, mais cela fait aussi partie du jeu du cinéma. Karl, le bourgmestre, qui détient – évidemment ! – de lourds secrets est interprété par Luciano Catenacci qui n’était pas acteur mais un des producteurs du film et présente la physionomie inquiétante qui sied… Monica, la tendre héroïne (Erika Blanc), Ruth, la bonne sorcière (Fabienne Dali), l’inquiétante baronne Graps (Giovanna Galletti) ont tout à fait le visage de leurs emplois respectifs.

Et puis le coup de génie : Melissa, la petite fille maléfique de 7 ans est, en fait, un garçon : Valerio Valeri le fils de la concierge d’un studio, dont la mine sévère et les yeux étranges correspondent tout à fait au personnage… lorsque le gamin est affublé d’une perruque blonde, d’une robe à smocks et d’une paire de Charles IX à lanière et bouton. Glaciale, étrangère, cruelle, sadique, cette petite fille, jadis heurtée et blessée par un cheval qui divaguait, malgré ses appels à l’aide, n’a reçu aucun secours de la population du village, trop occupée à s’enivrer.

Remarquable aussi le choix de l’environnement et du village où se situe la totalité de l’intrigue ; sans doute un des bienfaits de la pénurie financière qui n’a pas permis l’utilisation de décors de studios. Mario Bava a contourné le problème et a choisi le site sombre, tortueux, puissamment inquiétant de villages de la campagne romaine, Calcata et Faleria. Des ruines, des maisons troglodytes ancrées dans le rocher, des ruelles voûtées, des recoins furtifs et, même en plein jour, une lumière biaisée, malade… On sait bien que dans le genre particulier du film d’épouvante (et de ses succédanés), l’atmosphère perçue est déterminante. C’est-à-dire qu’on est tout à fait prêt à admettre des scénarios alambiqués, des retournements de situations invraisemblables, des balourdises et des coquecigrues si l’on est entré dans le monde impressionnant de l’angoisse. Il y a ceux qui savent vous y conduire et ceux qui n’y parviendront jamais.

Donc si vous rassemblez histoire originale et (relativement) pleine de rebondissements, distribution convenable et atmosphères lugubres, si vous ornez tout cela (misère oblige !) grâce à des emprunts mélodiques faits à des films de vos camarades faiseurs d’épouvante (que vous n’aurez naturellement pas rémunérés, ni même, d’ailleurs, consultés), voilà que vous présentez un film construit de bric et de broc mais parce que vous avez du talent (et même quelquefois du génie), vous montrez un film bien intéressant et faites conserver en tête des images : celles, par exemple, du docteur Eswai/Giacomo Rossi Stuart ne cessant de parcourir en courant la même pièce et finissant par atteindre son propre double.

Même si le film manque au début un peu de rythme, cela bien qu’il soit bref (1h20), il y a là, pour les amateurs du genre, quelque chose de moins connu, de moins éclatant que Le masque du démon ou La baie sanglante, mais très bien fichu.

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