Phenomena

La princesse des mouches.

On sait bien qu’avec Dario Argento il ne faut pas s’attendre à un récit d’horreur bien bâti, cohérent, architecturé. Il y a toujours des confusions, des impasses, des chemins sans issues, ce qui n’est pas bien embêtant, mais surtout des chemins qui s’interrompent brusquement sans que leur tracé soit exploité par le réalisateur. Si, de façon méticuleuse et un peu pionne on se mettait, le stylo à la main, à noter toutes les absurdités, impossibilités, négligences du scénario, on pourrait remplir des carnets entiers. C’est ainsi. Le metteur en scène se fiche un peu du récit, de l’épaisseur des personnages, de leur psychologie et même de leurs rapports.

Mais ce qui le retient, l’attire, le fascine, c’est l’atmosphère, la couleur, le cri dans la nuit, l’image abominable qui surgit en coup de poing. Et aussi , comme dans presque tous ses films, les feuillages secoués par le vent nocturne, la nature hostile où de jeunes filles terrifiées tentent en hurlant de fuir un tueur qu’elles ne connaissent pas mais qui leur sera impitoyable. De la même façon qu’un film de vampires classique ne se conçoit pas sans cimetière demi abandonné envahi par la brume, un film de Dario Argento ne serait pas reconnaissable sans le vent qui souffle dans les bosquets noirs.

Ça marche toujours, au demeurant. Comme marche toujours l’histoire de la jeune fille ravissante et naïve qui débarque dans un cénacle singulier où elle va croiser le mystère et l’horreur. C’est Suzy Banner (Jessica Harper) qui rejoint, dans Suspiria, une prestigieuse académie de danse à Fribourg ; c’est Rose Elliot (Irene Miracle) qui, dans Inferno, ouvre un livre dangereux, c’est Anna Manni (Asia Argento) qui, dans Le syndrome de Stendhal, engage une enquête qui va la mener loin…

Dans Phenomena voici Jennifer Corvino (Jennifer Connelly), fille d’un acteur de cinéma très célèbre et adulé, qui rejoint l‘École internationale de filles Richard Wagner, établissement pour adolescentes riches au fin fond de ce qu’on appelle la Transylvanie suisse ; on se rappellera avec profit que la Transylvanie (roumaine) est censée être le pays de notre vieil ami Dracula (en fait originaire de Valachie). On voit qu’on est tout de suite dans l’ambiance.

D’autant que les environs de l’institution chic ont connu depuis moins d’une année la disparition inexpliquée de jeunes filles. Nous, spectateurs, qui sommes omniscients, avons bien vu, au début du film, la mise à mort épouvantable et la décapitation d’une gamine entrée, parce qu’elle avait raté l’autobus et se gelait, dans un chalet patibulaire où un tueur mystérieux – qui a pu arracher les chaînes qui le retenaient prisonnier – l’a assassinée.

Les scénarios d’Argento sont souvent fourre-tout ; dans Phenomena, voici déjà deux pistes : Jennifer, d’une part, souffre de crises de somnambulisme, d’autre part est mystérieusement en phase avec les insectes, qui ne l’importunent jamais et semblent lui obéir. Assez fortuitement, elle fait connaissance du professeur McGregor (Donald Pleasence), savant entomologiste paralysé depuis un accident de voiture, dont la seule compagne est une intelligente guenon nommée Inge.

Sophie (Federica Mastroianni), qui partage la chambre de Jennifer et qui est sa seule amie est affreusement assassinée. À l’aide d’une luciole qui la guide, Jennifer trouve dans un sous-bois un gant, qui doit être celui du tueur, gant infesté de larves de grand sarcophage espèce particulière de mouches qui ne se nourrissent que de cadavres en décomposition.

Sauf à m’étendre trop longuement et à révéler peu à peu les clés du mystère, je m’arrête là de mon résumé : on y peut voir tout de même que c’est… comment dire ?…bariolé. Ceci d’autant que le dernier tiers du film court plusieurs pistes et, selon le vieux truc des films d’horreur, connaît rebondissement sur rebondissement.

Cela dit, c’est plutôt bien fichu et ça donne quelques coups de sang (hihi !) terrifiants au moyen d’images particulièrement crades. Et puis la bonne idée d’employer d’immenses essaims de mouches qui viennent par deux fois prêter secours à Jennifer est très réussie.

Mais ce n’est pas un film à mettre sous des yeux juvéniles. Ah, non !

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